Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 14 Ottobre 2004

Decisione 12 dicembre 2002, n.01988/02

Corte europea dei diritti dell’uomo (sezione prima). Decisione sulla ricevibilità, 12 dicembre 2002, causa nn. 1988/02, 1997/02 et 1977/02: “Sofianopoulos et al. c. Grecia”.

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section),

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ

des requêtes nos 1988/02, 1997/02 et 1977/02

présentées par Vassilios SOFIANOPOULOS, Konstantinos SPAÏDIOTIS, Georgios METALLINOS et Spyridon KONTOGIANNIS contre la Grèce

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 12 décembre 2002 en une chambre composée de
Mme F. TULKENS, présidente,
MM. C.L. ROZAKIS,
P. LORENZEN,
Mme N. VAJIC,
MM. E. LEVITS,
A. KOVLER,
V. ZAGREBELSKY, juges,
et de M. S. NIELSEN, greffier adjoint de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites le 20 décembre 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Vassilios Sofianopoulos, M. Konstantinos Spaïdiotis, M. Georgios Metallinos et M. Spyridon Kondogiannis, sont des ressortissants grecs nés en 1942, 1964, 1940 et 1938 et résidant à Athènes et à Thèbes. Ils sont représentés devant la Cour par Me G. Mavros, avocat à Athènes.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

La loi 87/1945, relative à la fourniture obligatoire des cartes d’identité, prévoyait, pour faciliter les contrôles d’identité, la mention obligatoire de la religion sur la carte d’identité. Le décret législatif 127/1969, relatif à la force probante des cartes d’identité, indiquait en son article 2 que les cartes d’identité devaient mentionner, entre autres, la religion. La loi 1599/1986, relative aux relations entre l’Etat et les citoyens, à l’institution d’une carte d’identité d’un type nouveau et à d’autres mesures vint modifier la situation : son article 3 disposait que la religion ne devait pas obligatoirement être inscrite sur la carte d’identité, mais seulement à la demande de l’intéressé. Toutefois, cette dernière loi ne fut jamais appliquée, car le ministre de l’Intérieur prolongea l’application du décret 127/1969. La loi 1988/1991 restaura la mention obligatoire de la religion sur la carte d’identité.
Par sa décision no 510 du 15 mai 2000, l’Autorité pour la protection des données à caractère personnel (« l’Autorité ») estima que la mention de certains éléments, dont la religion, sur la carte d’identité constituait un traitement de données à caractère personnel qui était contraire à la loi 2472/1997 relative à la protection de l’individu à l’égard du traitement des données à caractère personnel (epexergasia dedomenon prosopikou charactira). L’Autorité invita alors le ministère de l’Ordre public à prendre les mesures nécessaires afin que les services compétents ne sollicitent ni n’autorisent la mention de la religion pour la délivrance de nouvelles cartes d’identité. L’Autorité se référa à la Convention européenne des Droits de l’Homme ainsi qu’à la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel. L’Autorité estima que, compte tenu du but du traitement des données, qui consistait en l’occurrence en la vérification de l’identité des personnes, les informations suivantes n’étaient pas nécessaires : les empreintes digitales, les nom et prénom de l’époux ou de l’épouse, le sexe, la profession, la nationalité, l’adresse du domicile et la religion. Concernant cette dernière, l’Autorité précisa qu’elle relevait du for intérieur de l’individu et n’était donc pas nécessaire pour la détermination de l’identité. L’Autorité considéra également que l’accord de l’individu ne rendait pas forcément légitime le traitement de toutes ces données, pareil accord ne pouvant avoir pour effet d’autoriser un traitement illégitime en soi ou contraire au but poursuivi ou au principe de nécessité.
Le 9 juin 2000, l’association « Société des magistrats pour la démocratie et les libertés » déclara à la presse que « la mention, même facultative, de la religion sur les cartes d’identité est contraire aux dispositions fondamentales de la Constitution, qui garantissent la liberté religieuse ».
Par une décision commune du 17 juillet 2000, les ministres de l’Economie et de l’Ordre public déterminèrent le type de la nouvelle carte d’identité et les informations qu’elle devait mentionner, parmi lesquelles ne figurait plus la religion.
Les 31 juillet 2000, 22 août 2000 et 12 septembre 2000, les requérants saisirent le Conseil d’Etat de recours en annulation de la décision commune du 17 juillet 2000, au motif qu’elle n’incluait pas la religion parmi les informations à mentionner sur les cartes d’identité ; ils invoquaient une atteinte à la liberté de religion, garantie par l’article 13 de la Constitution.
L’audience dans cette affaire, ainsi que dans plusieurs autres qui étaient identiques, eut lieu le 1er décembre 2000 devant la formation plénière du Conseil d’Etat. Au début de l’audience, les requérants demandèrent que soient déportés les juges qui, en tant que membres de l’association « Société des magistrats pour la démocratie et les libertés », avaient pris position publiquement contre la mention de la religion sur la carte d’identité.
Neuf juges déclarèrent appartenir à cette association, deux autres soulignant qu’en vertu de la loi 2472/1997 il était interdit aux magistrats de déclarer, même volontairement, s’ils en faisaient partie.
Par sa décision avant-dire droit 152/2000, la formation plénière du Conseil d’Etat rejeta cette demande. Elle releva que les juges en question n’avaient pas du tout participé à la publication de la déclaration du conseil d’administration de l’association et n’avaient, par conséquent, pris aucune position sur la question. Au demeurant, cette déclaration avait été publiée dans la presse pendant les vacances judiciaires et à l’insu des juges récusés. En revanche, par sa décision 151/2000, la formation plénière décida que le président de ladite association, qui était membre du Conseil d’Etat, devait être exclu des débats.
Par son arrêt 2285/2001, le Conseil d’Etat jugea, à la majorité, que, facultative ou obligatoire, la mention de la religion sur la carte d’identité violerait l’article 13 de la Constitution. Il s’exprima ainsi :
« La liberté de conscience religieuse, qui protège les convictions de l’individu à l’égard du divin contre toute ingérence étatique, comprend, entre autres, le droit pour l’individu de ne pas divulguer sa confession ou ses convictions religieuses et de ne pas être obligé de faire ou de ne pas faire en sorte qu’on puisse tirer comme conclusion qu’il ait de telles convictions. Aucune autorité étatique ni aucun organe n’a le droit d’intervenir dans le domaine de la conscience de l’individu, qui est inviolable selon la Constitution, et de rechercher ses convictions religieuses, ou de l’obliger à extérioriser ses convictions concernant le divin. La divulgation volontaire de ses convictions faite par un individu aux autorités dans le but d’exercer certains droits spécifiques reconnus par l’ordre juridique aux fins de la protection de la liberté religieuse (par exemple, celui d’être exempté de service militaire pour des raisons d’objection de conscience, ou du cours d’éducation religieuse ou d’autres obligations scolaires, comme assister à la messe ou à la prière, ou celui de créer une maison de prière ou une association à caractère religieux) n’est pas à mettre sur le même plan. Par conséquent, la mention obligatoire de la religion sur les cartes d’identité (…) emporterait violation de l’article 13 de la Constitution (…). La liberté religieuse sous son aspect positif (manifestation des convictions) consiste dans le droit pour chacun de manifester sans obstacle sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, dans la mesure où il ne porte pas atteinte à l’ordre public ou aux bonnes moeurs et sous réserve des restrictions prévues au paragraphe 4 de l’article 13 de la Constitution. Toutefois, cette liberté ne comprend pas le droit pour les individus de manifester leur religion ou leurs convictions religieuses en mentionnant celles-ci, lorsqu’ils le souhaitent, sur des documents publics, comme les cartes d’identité. Non seulement l’article 13 de la Constitution n’accorde pas un tel droit aux bénéficiaires de la liberté religieuse (…), mais il prohibe l’inscription, même facultative, de la religion ou des convictions religieuses sur les cartes d’identité comme moyen de les manifester ou de les prouver. Une interprétation différente aurait pour conséquence de porter atteinte à la liberté religieuse (…) de ceux des Grecs qui ne souhaiteraient pas manifester leurs convictions religieuses de cette manière et de supprimer la neutralité religieuse de l’Etat concernant l’exercice de ce droit individuel (…). En effet, les Grecs qui refusent de mentionner leur religion ou leurs convictions religieuses sur leur carte d’identité voient leur refus enregistré par une autorité publique sur un document public pouvant être montré à toute autorité ou service ainsi qu’à des particuliers pour l’identification du porteur, et sont obligés de divulguer, indirectement et presque publiquement, un aspect de leur attitude envers le divin. En même temps, ils se distinguent, contrairement à leur volonté et avec l’ingérence des autorités publiques, de ceux des Grecs qui révèlent leurs convictions religieuses en les mentionnant sur leur carte d’identité. En outre, la mention de la religion sur la carte d’identité ouvre la voie à la discrimination, positive ou négative, et crée par conséquent un risque d’atteinte à l’égalité religieuse, garantie par l’article 13 § 1 de la Constitution. »

Quant au grief tiré de la violation de l’article 9 de la Convention, le Conseil d’Etat jugea que, compte tenu du fait que la mention de la religion était contraire à l’article 13 de la Constitution, il devait être rejeté, les conventions internationales ratifiées par la loi ayant une force supérieure à celle des lois mais non à celle de la Constitution.

B. Le droit interne pertinent

1. La Constitution

L’article 3 de la Constitution se lit ainsi :
« 1. La religion dominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. L’Eglise orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de la même foi (homodoxi), observant immuablement, comme les autres églises, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et administrée par le Saint-Synode, composé de tous les évêques en fonctions, et par le Saint-Synode permanent qui, dérivant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte statutaire de l’Eglise et conformément aux dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte synodique du 4 septembre 1928.
(…) »

L’article 13 de la Constitution dispose :
« 1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable. La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend pas des croyances religieuses de chacun.
2. Toute religion connue est libre ; les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois. L’exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. Le prosélytisme est interdit.
3. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante.
4. Nul ne peut être dispensé de l’accomplissement de ses devoirs envers l’Etat, ou refuser de se conformer aux lois, en raison de ses convictions religieuses.
5. Aucun serment ne peut être imposé qu’en vertu d’une loi qui en détermine aussi la formule. »

2. La Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel

Les articles 5 et 6 de la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, conclue à Strasbourg le 28 janvier 1981 et ratifiée par la Grèce par la loi 2062/1992, disposent :
Article 5
« Qualité des données
Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont :
a. obtenues et traitées loyalement et licitement ;
b. enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ;
c. adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ;
d. exactes et si nécessaires mises à jour ;
e. conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. »
Article 6
« Catégories particulières de données
Les données à caractère personnel révélant l’origine raciale, les opinions politiques, les convictions religieuses ou autres convictions (…), ne peuvent être traitées automatiquement à moins que le droit interne ne prévoie des garanties appropriées. Il en est de même des données à caractère personnel concernant des condamnations pénales. »

GRIEFS

1. S’appuyant sur l’article 9 de la Convention, les requérants dénoncent l’interdiction de la mention, même facultative, de la religion sur la carte d’identité.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, ils se plaignent d’un manque d’impartialité de la formation plénière du Conseil d’Etat ayant statué sur leur cause.

3. Se fondant enfin sur les articles 1 et 53 de la Convention, ils reprochent au Conseil d’Etat d’avoir rendu illusoire l’application de la Convention en Grèce en rejetant leur grief avec une motivation sommaire.

EN DROIT

1. Les requérants allèguent la violation de l’article 9 de la Convention, qui se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Les requérants soulignent que la mention, facultative ou obligatoire, de la religion sur les cartes d’identité, prévue par les lois antérieures à la décision de l’Autorité en date du 15 mai 2000 et à la décision commune des ministres de l’Economie et de l’Ordre public en date du 17 juillet 2000, offrait aux citoyens grecs le droit de déclarer publiquement leur croyance. L’interdiction d’une telle mention, même facultative, les a selon eux privés de ce droit, quelle que soit leur religion. Or, obligatoire pendant plus de cinquante ans, la mention de la religion n’aurait jamais servi à harceler ou à soumettre les citoyens à un traitement discriminatoire en fonction de leurs convictions religieuses.
La mention facultative de la religion aurait satisfait les sensibilités religieuses de la majorité absolue des Grecs, qui est orthodoxe (94 à 97% de la population). L’article 3 de la Constitution proclame que la religion prédominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ, accordant ainsi à cette dernière un caractère non seulement déclaratoire, mais aussi honorifique. Cette sensibilité des Grecs se serait exprimée par des manifestations dans toute la Grèce, par des articles dans la presse et par des pétitions pour l’organisation d’un référendum sur la question. Selon l’Eglise de Grèce, 3 008 901 Grecs se seraient prononcés en faveur de l’organisation d’un tel référendum.
D’après les requérants, la mention facultative promeut le pluralisme religieux et protège les minorités religieuses car elle permet aux Grecs qui ne sont pas orthodoxes de manifester, s’ils le souhaitent, leur différence, comme contrepoids à la proclamation de la religion orthodoxe comme religion prédominante; elle leur permet aussi d’obtenir la reconnaissance par l’Etat de leur différenciation religieuse et de rétablir l’égalité religieuse, qui pourrait paraître rompue par l’affirmation contenue dans l’article 3 de la Constitution.
L’interdiction de la mention de la religion ne servirait aucun des buts mentionnés au paragraphe 2 de l’article 9. Ni l’administration ni le Conseil d’Etat n’auraient justifié cette interdiction par la nécessité de sauvegarder l’ordre public, la santé, la morale ou les droits et libertés d’autrui. Le Conseil d’Etat aurait même ignoré le grief tiré de l’article 9 de la Convention.

Selon les requérants, l’aspect positif de la liberté religieuse, à savoir le droit pour chacun de manifester ses convictions religieuses l’emporte sur l’aspect négatif, à savoir le droit de ne pas les manifester. A supposer même que « les droits et libertés d’autrui » incluent le droit pour chacun de ne pas manifester sa religion ou la nécessité d’éviter les discriminations à l’encontre des minorités religieuses, l’interdiction de la mention, même facultative, de la religion sur la carte d’identité ne constituerait pas une mesure nécessaire dans une société démocratique et violerait le principe de proportionnalité.
Le « besoin social impérieux » ne consisterait pas, pour l’écrasante majorité des Grecs qui sont orthodoxes, en l’interdiction de l’inscription facultative, mais en son maintien. La religion occuperait une grande place en Grèce, non seulement dans la vie quotidienne des citoyens, mais même dans la vie publique: les manifestations officielles seraient toujours accompagnées de cérémonies religieuses, la croix du Christ apparaîtrait tant sur la forme que sur la hampe du drapeau, et l’icône du Christ serait visible dans tous les lieux publics, notamment les tribunaux.
De plus, un système de mention facultative ne divulguerait nullement les convictions religieuses de celui refusant la mention ni ne laisserait présumer qu’il est athée ou agnostique. Enfin, toute société démocratique garantirait le droit à la différence, qui serait un élément de liberté ; ce ne serait pas en occultant le fait que différentes convictions relieuses existent dans une société que l’on respecterait l’égalité religieuse et la neutralité religieuse de l’Etat mais en le reconnaissant et en évitant les discriminations.

La Cour rappelle que, telle que la protège l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises de toute « société démocratique » au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société. Si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle « implique » de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion ». Le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l’existence de convictions religieuses (Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 17, § 31).
La Cour relève que les requérants se plaignent du fait que, suite à la décision commune des ministres de l’Economie et de l’Ordre public en date du 17 juillet 2000, les cartes d’identité qui seront désormais délivrées aux citoyens grecs ne porteront plus la mention de la religion comme c’était le cas auparavant. Les requérants voient dans cette caractéristique des nouvelles cartes d’identité une atteinte à leur droit de manifester leur religion.
La Cour note également l’avis de l’Autorité selon lequel, compte tenu du but du traitement des données figurant sur une carte d’identité, à savoir la vérification de l’identité du porteur, les informations suivantes ne sont pas nécessaires : les empreintes digitales, les nom et prénom de l’époux ou de l’épouse, le sexe, la profession, la nationalité, l’adresse du domicile et la religion. Concernant cette dernière, l’Autorité précisa qu’elle relevait du for intérieur de l’individu et n’était donc pas nécessaire pour la détermination de l’identité. L’Autorité considéra également que l’accord de l’individu ne rendait pas forcément le traitement de toutes ces données légitime, pareil accord ne pouvant avoir pour effet d’autoriser un traitement illégitime en soi ou contraire au but poursuivi ou au principe de nécessité.
La Cour estime que la carte d’identité ne peut pas être considérée comme un moyen destiné à assurer aux fidèles, de quelque religion ou confession qu’ils soient, le droit d’exercer ou de manifester leur religion. Elle reconnaît que la carte d’identité, en tant que telle, n’est pas indispensable pour la vie des citoyens ni pour le fonctionnement de l’Etat. La preuve en est que plusieurs Etats ont choisi de ne pas introduire un tel système d’identification des citoyens, mais d’avoir recours à d’autres documents officiels, tels le passeport ou le permis de conduire. Toutefois, lorsqu’un Etat opte pour l’introduction d’un système d’identification par des cartes d’identité, il convient d’admettre que celles-ci constituent simplement des documents officiels permettant d’identifier et d’individualiser les personnes en leur qualité de citoyens et dans leurs rapports avec l’ordre juridique de l’Etat. Les convictions religieuses, l’Autorité l’a souligné à juste titre, ne constituent pas une donnée servant à individualiser un citoyen dans ses rapports avec l’Etat ; non seulement elles relèvent du for intérieur de chacun, mais elles peuvent aussi, comme d’autres données, changer au cours de la vie d’un individu ; leur mention dans un document risque aussi d’ouvrir la porte à des situations discriminatoires dans les relations avec l’administration ou même dans les rapports professionnels.
Quant à l’allégation selon laquelle l’inscription pourrait être facultative, la Cour réaffirme que la carte d’identité constitue un document officiel dont le contenu ne saurait être déterminé en fonction des souhaits de chaque personne intéressée. Une fois que l’Autorité avait indiqué, de façon motivée, les informations non nécessaires, les cartes d’identité devaient être toutes établies sur le même modèle, tant pour des raisons techniques qu’en vertu de considérations juridiques. Si chaque individu pouvait à sa guise y soustraire ou y ajouter les éléments lui paraissant importants ou pertinents, l’uniformité et la philosophie sous-jacentes à ce document administratif en pâtiraient.
Enfin, le fait que la religion orthodoxe est la religion dominante en Grèce et que les manifestation officielles comportent une part de cérémonies religieuses, comme le soulignent les requérants, ne saurait justifier la mention de la religion sur les cartes d’identité. Du reste, le but d’une carte d’identité ne consiste ni à conforter le sentiment religieux de son porteur ni à refléter la religion d’une société donnée à un moment donné.

En conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas eu en l’espèce atteinte au droit pour les requérants de manifester leur religion.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Les requérants allèguent ensuite la violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
Les requérants soutiennent que l’association « Société des magistrats pour la démocratie et les libertés » aurait dû s’abstenir de tout commentaire au sujet de la question sur laquelle allaient se prononcer ceux de ses membres siégeant au Conseil d’Etat. Ils affirment que la déclaration de cette association a fait naître dans leur esprit des doutes quant à l’impartialité de ces juges. Le raisonnement par lequel le Conseil d’Etat rejeta la demande de récusation formulée par eux ne leur paraît guère convaincant, car les décisions du conseil d’administration d’une association expriment l’opinion des membres de celle-ci. Par conséquent, l’arrêt avant-dire droit du Conseil d’Etat ayant rejeté ladite demande aurait violé le droit des requérants à voir leur cause jugée par un tribunal impartial.

La Cour rappelle que lorsqu’il s’agit de déterminer l’impartialité d’un tribunal au sens de l’article 6 § 1, il faut non seulement tenir compte démarche subjective de la conviction et du comportement personnels de tel juge en telle occasion, mais aussi rechercher – démarche objective – si ce tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard (Thomann c. Suisse, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 815, § 30).
La Cour note que la déclaration parue dans la presse émanait d’une association regroupant un grand nombre de magistrats de toutes les juridictions. Les membres du Conseil d’Etat récusés par les requérants n’avaient pas pris individuellement position sur la question de l’inscription de la religion sur les cartes d’identité. Comme l’a souligné le Conseil d’Etat, la déclaration litigieuse fut publiée pendant les vacances judiciaires, sans que les magistrats visés en eussent pris connaissance. Faire droit à la demande de récusation eût été, pour le Conseil d’Etat, privilégier un formalisme excessif, qui non seulement ne pouvait être justifié dans les circonstances de l’espèce mais qui aurait, de plus, paralysé le système, puisque l’affaire devait être tranchée par la formation plénière du Conseil d’Etat (voir, mutatis mutandis, Debled c. Belgique, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 292-B, p. 43, § 37). Au surplus, la Cour note que le Conseil d’Etat accueillit la demande de récusation pour le membre de cette juridiction qui était en même temps le président de l’association.

Il s’ensuit que ce grief doit lui aussi être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Les requérants allèguent enfin la violation des articles 1 et 53 de la Convention. Ils reprochent au Conseil d’Etat d’avoir ignoré leur grief tiré de l’article 9 de la Convention et d’avoir ainsi rendu inopérante l’application de la Convention en Grèce. Ils estiment que le juge national a l’obligation d’examiner la conformité du droit interne avec la Convention, même s’il se sent obligé, en cas de conflit, d’appliquer la disposition interne.
La Cour estime que les griefs des requérants ne sont pas pertinents. Elle note que si le Conseil d’Etat ne formula effectivement que de brèves considérations sur le terrain de l’article 9 de la Convention, il axa la motivation de son arrêt sur la liberté de religion telle que consacrée par l’article 13 de la Constitution grecque, au contenu identique, pour les besoins de la cause, à celui de l’article 9 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief doit lui aussi être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare la requête irrecevable.

Søren NIELSEN, Greffier adjoint
Françoise TULKENS, Présidente