Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 14 Ottobre 2004

Decisione 23 marzo 2000, n.47021/99

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section)
47021/99
23/03/2000 Corte Decisione Irricevibile 88

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 47021/99
présentée par Leo KOHN
contre l’Allemagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 23 mars 2000 en une chambre composée de

M. M. Pellonpää, président,
M. G. Ress,
M. A. Pastor Ridruejo,
M. L. Caflisch,
M. J. Makarczyk,
M. I. Cabral Barreto,
Mme N. Vajić, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 mars 1999 et enregistrée le 23 mars 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant allemand, né en 1928 et résidant à Hanovre. Il est représenté devant la Cour par son fils, Me Klaudio Kohn, avocat au barreau de Hanovre.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant était membre du conseil d’administration (Vorstand) de la communauté juive de Hanovre jusqu’en 1995.

Des élections en vue de désigner les membres de ce conseil d’administration se déroulèrent en 1995 et le requérant fut l’un des candidats. A la suite d’un litige sur la remise de l’urne électorale, qui alla jusque devant la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof), l’issue des élections ne fut finalement connue que le 22 avril 1998. Les nouveaux membres du conseil d’administration ainsi élus étaient M. Kune, Mme Kontsour et Mme Thierkopf, qui demandèrent alors en vain au requérant de restituer et de quitter les locaux qu’il avait occupés jusqu’alors en tant que membre du conseil d’administration.

Par une ordonnance de référé (einstweilige Anordnung) du 20 mai 1998, le tribunal d’arbitrage et administratif auprès du Consistoire central des juifs en Allemagne (Schieds-und Verwaltungsgericht beim Zentralrat der Juden in Deutschland) indiqua que les membres du conseil d’administration élus le 22 avril 1998 étaient désormais les seuls représentants de la communauté juive de Hanovre, et ce jusqu’à ce que le tribunal d’arbitrage rende sa décision dans cette affaire sur le fond, alors que le requérant ne l’était plus. Le tribunal d’arbitrage demanda également à ce dernier de restituer et de quitter immédiatement les locaux.

Le 26 mai 1998, le tribunal d’arbitrage déclara l’ordonnance immédiatement exécutoire et demanda à un huissier de procéder à son exécution, ce que ce dernier fit le 28 mai 1998.

Dans la nuit du 29 au 30 mai 1998, le requérant réintégra les locaux de la communauté juive de Hanovre et changea toutes les serrures.

Une nouvelle demande d’exécution échoua, car le 19 juin 1998, sur opposition du requérant, le tribunal d’instance (Amtsgericht) de Hanovre indiqua que la décision du tribunal d’arbitrage n’était pas exécutoire tant qu’elle n’avait pas été entérinée par les pouvoirs publics.

La communauté juive de Hanovre demanda donc au tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Hanovre de déclarer la décision du tribunal d’arbitrage exécutoire, mais sa demande échoua définitivement par une décision du 20 octobre 1998 de la cour administrative d’appel (Oberverwaltungsgericht).

La communauté juive de Hanovre, corporation de droit public (Körperschaft des öffentlichen Rechts), s’adressa alors au tribunal régional (Landgericht) de Hanovre, au motif qu’une voie de recours existait exceptionnellement auprès des juridictions civiles allemandes, car il s’agissait d’un droit à l’expulsion (Räumung) et à la restititution (Herausgabe) sur le terrain du droit civil de protection d’une possession (zivilrechtlicher Besitzschutz). La communauté juive serait empêchée, pour l’instant, de pratiquer sa religion et son culte, et c’est pourquoi il était urgent que l’ordonnance du tribunal d’arbitrage fût rendue exécutoire, afin d’éviter des dommages supplémentaires et la disparition d’éléments de preuve, car il y avait eu des malversations de la part des anciens membres du conseil d’administration.

Le requérant, quant à lui, fit valoir que les personnes nouvellement élues n’étaient pas les représentants légitimes de la communauté juive de Hanovre, car la décision du tribunal d’arbitrage méconnaissait l’ordre public et n’était pas valable. Par ailleurs, le tribunal régional n’était pas compétent pour statuer dans ce genre de litige.

Par un jugement du 2 décembre 1998, après avoir tenu une audience, le tribunal régional de Hanovre fit droit à la demande de la communauté juive de Hanovre et ordonna l’expulsion du requérant.
Le tribunal régional estima que la requête était recevable et qu’il était compétent pour statuer dans ce litige, étant donné qu’il s’agissait avant tout d’une ordonnance de référé pour « trouble de la possession » (Besitzstörung), alors que la question de la représentation légitime (ordnungsgemässe Vertretung) de la communauté juive n’était qu’une question préliminaire, qui avait été provisoirement clarifiée au sein de la communauté religieuse (innerkirchlich) par la décision du tribunal d’arbitrage.
Le tribunal régional précisa que la communauté juive de Hanovre disposait d’un droit à l’évacuation des lieux en vertu des articles 861 et 858 du code civil, car la décision du tribunal d’arbitrage, d’après laquelle M. Kune et autres étaient provisoirement les seuls représentants légitimes de cette communauté, liait le tribunal. En effet, des mesures internes à une communauté religieuse (innerkirchliche Massnahmen), comme la tenue d’élections, ne pouvaient être contrôlées par les tribunaux étatiques, car ces derniers devaient respecter l’autonomie des corporations religieuses (Autonomie der Religionskörperschaften). Cependant, le tribunal d’arbitrage ne pouvait lui-même faire exécuter la décision d’expulsion, et c’est pourquoi il devait s’adresser aux tribunaux étatiques, car l’Etat avait le monopole de l’utilisation de la force.
D’après le tribunal régional, en faisant droit à la demande de la communauté juive de Hanovre, il ne s’immisçait pas dans le droit à l’autonomie de cette dernière, qui était garanti par la Constitution, mais remplissait son devoir de protection (Schutzpflicht) à l’égard de la demanderesse et son devoir de rendre la justice (Justizgewährungspflicht) pour assurer l’exécution d’une décision prise au sein d’une communauté religieuse. Il n’y avait d’ailleurs pas d’indices indiquant que la décision ait méconnu l’ordre public.
Le tribunal régional ajouta que les conditions de l’article 861 du code civil étaient réunies, eu égard au fait que le requérant s’était introduit de manière illégale (im Wege verbotener Eigenmacht) dans les locaux de la communauté juive dans la nuit du 29 au 30 juin 1998. Le requérant ne pouvait faire valoir que les représentants de cette communauté ne disposaient pas d’un droit de possession, car il n’avait pas lui-même respecté la décision du tribunal d’arbitrage, sans contester la compétence de ce dernier. D’après le tribunal régional, les conditions de l’article 940 du code de procédure civile étaient également réunies, car la communauté religieuse, par le biais de la déclaration sous serment de son représentant, M. Kune, avait indiqué qu’en raison de l’occupation des locaux, elle n’était pas en mesure de pratiquer sa religion et son culte, et qu’il y avait un danger de disparition d’éléments de preuve.

Par une lettre adressée par télécopie au tribunal régional le 7 décembre 1998, M. Sichrovsky, membre du Parlement européen au titre du parti libéral autrichien (FPÖ – Freiheitliche Partei Österreichs) et président de l’Association des communautés juives, fidèles à la loi, en Allemagne (Bund gesetzestreuer jüdischer Gemeinden in Deutschland) informa celui-ci que le tribunal rabbinique (Rabbinatsgericht) BEIT DIN avait décidé le 6 décembre 1998 que les anciens membres du conseil d’administration, dont le requérant faisait partie, étaient les seuls représentants légitimes de la communauté juive de Hanovre. Il ajouta que le tribunal rabbinique avait annulé la décision du 20 mai 1998 du tribunal d’arbitrage. D’après M. Sichrovsky, la communauté juive de Hanovre n’était pas soumise à la juridiction de ce tribunal d’arbitrage, car le tribunal rabbinique, en tant qu’organe suprême en matière de litiges de nature religieuse ou juridique au sein de la communauté juive, avait relevé que la décision du tribunal d’arbitrage avait méconnu les principes fondamentaux de la doctrine religieuse et juridique juive et qu’elle devait donc être annulée.

Par une décision du 11 janvier 1999, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), statuant en comité de trois membres, rejeta la demande du requérant quant à la suspension de la mesure d’exécution décidée par le tribunal régional.
La Cour constitutionnelle rappela tout d’abord que la question de savoir à quelles conditions des personnes peuvent se présenter à des élections au sein d’une communauté religieuse relevait de l’organisation interne de celle-ci. En l’espèce, le tribunal d’arbitrage avait tranché provisoirement la question de savoir qui étaient les représentants légitimes de la communauté juive de Hanovre, par ses ordonnances des 20 et 26 mai 1998, et avait également demandé l’expulsion du requérant des locaux. Or, conformément à l’article 140 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) combiné avec l’article 137 de la Constitution de la République de Weimar, les juridictions civiles n’avaient pas à contrôler ces décisions internes à la communauté religieuse.

Par un arrêt du 17 février 1999, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Celle rejeta le recours du requérant et confirma le jugement du tribunal régional pour les mêmes motifs.

Le 23 mars 1999, le conseil du requérant saisit la Cour européenne des Droits de l’Homme afin qu’elle demande aux autorités allemandes de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion, prévue pour le 25 mars 1999, conformément à l’article 39 du règlement de la Cour. D’après lui, la décision d’expulsion des juridictions allemandes reposait sur une décision illégale du tribunal d’arbitrage, et il soumit une attestation d’un psychiatre indiquant que le requérant, survivant de l’holocauste, risquait de subir de dommages psychiques irréparables en cas d’expulsion.

Le même jour, le président de la quatrième section décida de ne pas appliquer l’article 39 du règlement.

B. Droit interne pertinent

L’article 140 de la Loi fondamentale combiné avec l’article 137 de la Constitution de la République de Weimar garantit la liberté de religion et l’indépendance des corporations religieuses en Allemagne.

GRIEFS

1. Le requérant soutient qu’il est le seul représentant de la communauté juive de Hanovre et que son expulsion des locaux de cette communauté, suite à la décision du tribunal d’arbitrage auprès du consistoire central des juifs en Allemagne, a méconnu son droit à la liberté de religion et à l’indépendance des communautés religieuses par rapport à l’Etat garanti à l’article 9 de la Convention

2. Il se plaint également de ce que les tribunaux allemands n’ont pas pris en compte le fait que le tribunal rabbinique BEIT-DIN était le seul tribunal compétent pour trancher ce genre de litige.

3. Il allègue également une atteinte à sa dignité contraire à l’article 3 de la Convention.

EN DROIT

1. Le requérant soutient qu’il est le seul représentant légitime de la communauté juive de Hanovre et que son expulsion des locaux de cette communauté, suite à la décision du tribunal d’arbitrage auprès du consistoire central des juifs en Allemagne, a méconnu son droit à la liberté de religion et à l’indépendance des communautés religieuses par rapport à l’Etat garanti à l’article 9 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Le requérant reproche aux juridictions allemandes une ingérence dans les affaires internes de la communauté juive de Hanovre, car ces dernières ont exécuté une décision illégale du tribunal d’arbitrage, alors que le seul tribunal compétent pour trancher ce genre de litige était le tribunal rabbinique BEIT DIN.

La Cour rappelle que, d’après la jurisprudence des organes de la Convention, l’intervention de l’Etat dans l’organisation d’une communauté religieuse ou dans la gestion de leurs biens peut constituer une ingérence dans les droits protégés par l’article 9 de la Convention (voir notamment le rapport de la Commission du 26 octobre 1999, requête n° 30985/96, § 81).

En l’espèce cependant, la Cour estime qu’il n’y a pas eu ingérence de l’Etat dans les droits du requérant protégés par cet article.

En effet, comme l’a précisé la Cour constitutionnelle fédérale, les tribunaux allemands ont au contraire souligné qu’il ne leur appartenait pas de s’immiscer dans les affaires internes de la communauté juive de Hanovre, en vertu du principe de l’autonomie des corporations religieuses inscrit dans la Loi fondamentale, et ils ont simplement pris acte de la décision du tribunal d’arbitrage auprès du Consistoire central des juifs en Allemagne désignant les représentants légitimes de cette communauté.

Les tribunaux allemands ont ensuite procédé à l’exécution d’une décision prise par ce tribunal en vertu du droit civil allemand, et là aussi, ils n’avaient pas à vérifier le bien-fondé de cette décision interne à la communauté.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

2. Quant au grief du requérant sur l’absence de compétence de ce tribunal d’arbitrage, dont les tribunaux allemands n’auraient pas tenu compte, la Cour estime qu’il relève plutôt de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil »

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Spécialement, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Par ailleurs, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir les arrêts Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n° 140, p. 29, §§ 45-46, et Garcia Ruiz c. Espagne du 21 janvier 1999, § 28). Enfin, si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (voir l’arrêt Garcia Ruiz précité, § 26).

A cet égard, la Cour note tout d’abord que le tribunal régional avait rendu son jugement le 2 décembre 1998 et que M. Sichrovsky, en tant que président de l’Association des communautés juives, fidèles à la loi, en Allemagne, informa le tribunal régional le 7 décembre 1998 que le tribunal rabbinique BEIT-DIN avait, par une décision du 6 décembre 1998, annulé la décision du tribunal d’arbitrage.

Cette lettre fut donc adressée au tribunal régional après que ce dernier eut rendu son jugement et le requérant n’indique pas avoir signalé à la cour d’appel de Celle qu’une procédure était pendante devant le tribunal rabbinique BEIT-DIN. Par ailleurs, même si tel avait été le cas, il convient de relever que M. Sichrovsky n’avait pas joint à sa lettre la décision du tribunal rabbinique, ni indiqué la composition de celui-ci, et qu’il n’avait pas indiqué non plus en vertu de quels principes ce tribunal avait en l’espèce une compétence supérieure à celle du tribunal d’arbitrage auprès du Consistoire central des juifs en Allemagne, qui est l’organe représentatif de la communauté juive en Allemagne. Il s’agissait donc en l’espèce d’une simple affirmation d’un particulier, et l’on ne saurait alors reprocher aux tribunaux de ne pas avoir donné une réponse explicite sur ce point.

La Cour relève ensuite que le litige portait avant tout sur le droit à possession et à restitution, et sur l’exécution d’une mesure d’expulsion, dont les juridictions civiles ont vérifié les conditions d’application en vertu des dispositions pertinentes du droit allemand, et que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire au cours de laquelle il a pu présenter les arguments qu’il jugeait pertinents pour sa défense.

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

3. Enfin, le requérant soutient que son expulsion a enfreint l’article 3 de la Convention, ainsi rédigé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité (voir notamment l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 62, § 162). Or elle ne décèle aucune infraction à cette disposition en l’espèce.

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

Vincent Berger Matti Pellonpää
Greffier Président