Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 13 Ottobre 2004

Sentenza 02 agosto 2001, n.37119/93

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section)
37119/93
25/11/1999 Corte Decisione Ricevibile 201
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n° 37119/97
présentée par N. F. contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 25 novembre 1999 en une chambre composée de

M. C.L. Rozakis, président,
M. M. Fischbach,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
M. P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. A.B. Baka, juges,

et de M. E. Fribergh, greffier de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 16 mai 1997 par N. F. contre l’Italie et enregistrée le 31 juillet 1997 sous le n° de dossier 37119/97 ;

Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 10 mars 1999 et les observations en réponse présentées par le requérant le 13 mai 1999;

Vu les observations développées par les parties à l’audience du 25 novembre 1999 ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant italien, né en 1942 et résidant à Monza (Milan).

Il est représenté devant la Cour par Me Anton Giulio Lana, avocat au barreau de Rome.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Le requérant est un magistrat qui demanda, en 1990, son affiliation à la maçonnerie du Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani. Le 5 mars 1991, il devint membre de la loge « Adriano Lemmi » de Milan.

Durant l’été 1992, le requérant lut dans la presse nationale que certains parquets – notamment celui de Palmi (Reggio de Calabre) – avaient ouvert des enquêtes qui, selon certains bruits, auraient aussi concerné des loges associées au Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani.

En octobre 1992, le requérant demanda à s’éloigner de la maçonnerie et, le 5 novembre 1992, il fut mis « en sommeil ».

Le parquet de Palmi ayant transmis la liste des magistrats inscrits à la maçonnerie au Conseil Supérieur de la Magistrature, celui-ci la communiqua aux personnes chargées de l’ouverture des procédures disciplinaires contre les magistrats, à savoir le ministre de la Justice et le procureur général près la Cour de cassation.

A la suite de l’ouverture d’une enquête, en juillet 1993, le requérant fut entendu par un enquêteur de l’Inspection générale du ministère de la Justice. Par la suite, en février 1994, il fut entendu par le procureur général près la Cour de cassation.

En juin 1994, le requérant fut cité à comparaître devant la Section disciplinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il était accusé d’avoir porté préjudice au prestige de l’ordre judiciaire, car il avait gravement manqué à ses devoirs. Il ne se serait donc pas rendu digne de la confiance qu’il faut avoir en un magistrat.

Dans sa plaidoirie, le conseil du requérant rappela une décision de la même Section, prise une dizaine d’années plus tôt, qui marquait la différence entre une association secrète – à laquelle il était interdit aux magistrats de s’affilier – et une association à caractère discret. Le conseil du requérant nota également que la directive du Conseil Supérieur de la Magistrature, établissant l’incompatibilité entre la fonction de magistrat et l’inscription à la maçonnerie, avait été adoptée durant l’été 1993, c’est-à-dire un an après que le requérant ait eu quitté la maçonnerie de son plein gré.

A l’issue de la procédure, la Section disciplinaire estima que le requérant avait violé l’article 18 du décret législatif royal du 31 mai 1946 n° 511 et prononça la sanction de l’avertissement.

Le requérant s’étant pourvu devant la Cour de cassation, celle-ci examina l’affaire en chambres réunies le 13 juin 1996 et, par un arrêt du 10 décembre 1996, rejeta le pourvoi.

B. Éléments de droit interne

Aux termes de l’article 18 du décret législatif royal n° 511 du 31 mai 1946, le magistrat qui « manque à ses devoirs ou a, au bureau ou en dehors, un comportement qui ne mérite pas la confiance et la considération dont il doit jouir » est soumis à une sanction disciplinaire.

Le 22 mars 1990, le Conseil Supérieur de la Magistrature a adopté une directive selon laquelle « la participation de magistrats à des associations ayant un lien hiérarchique et solidaire particulièrement fort par le biais de l’établissement, par des voies solennelles, de liens comme ceux qui sont demandés par les loges maçonniques, pose des problèmes délicats de respect des valeurs de la Constitution italienne ».

Le 14 juillet 1993, le Conseil Supérieur de la Magistrature a adopté une autre directive par laquelle il a affirmé l’incompatibilité de l’exercice des fonctions de magistrat avec l’appartenance à la maçonnerie.

GRIEFS

1. Invoquant les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention, le requérant allègue la violation du droit au respect de la vie privée, à la liberté de pensée et de conscience, à la liberté d’expression, et à la liberté de réunion et d’association.

2. Le requérant considère en outre qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec toutes les dispositions précitées.

3. Enfin, le requérant se plaint de la durée de la procédure disciplinaire (article 6 de la Convention) ainsi que de ce que le requérant aurait été condamné en violation du droit « pas de peine sans loi » garanti par l’article 7 de la Convention.

PROCÉDURE

La requête a été introduite le 16 mai 1997 et enregistrée le 31 juillet 1997. En vertu de l’article 5 § 2 du Protocole n°11, entré en vigueur le 1er novembre 1998, l’affaire est à examiner par la Cour européenne des Droits de l’Homme à partir de cette date.

Le 8 décembre 1998, la Cour a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 10 mars 1999, et le requérant y a répondu le 13 mai 1999.

Le 31 août 1999, la Chambre a décidé de tenir une audience afin que les parties développent plus amplement leurs arguments sur la recevabilité et le fond de la présente requête.

Le 29 octobre 1999, le requérant et le gouvernement défendeur ont adressé des observations écrites à la Cour.

Les débats se sont déroulés en public le 25 novembre 1999 au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. Le Gouvernement était représenté par M. V. Esposito, co-agent, et Mme T. Massa, conseil, et le requérant par Me A. G. Lana, avocat au barreau de Rome, assisté de M. A. Saccucci, conseiller.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint de la décision du Conseil Supérieur de la Magistrature de prononcer la sanction disciplinaire de l’avertissement en raison de son ancienne inscription à la maçonnerie. Il se plaint également de la discrimination dont il aurait été victime. Il invoque la violation des articles 8, 9, 10, 11 et 14 de la Convention, ainsi libellés :

« Article 8

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Article 9

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Article 10

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Article 11

1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat.

Article 14

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Le requérant estime que le fait d’avoir rendu publique la liste des membres de la maçonnerie avec son nom a porté atteinte à son droit à la vie privée. En outre, la sanction disciplinaire litigieuse constitue une ingérence dans son droit à la vie privée. Or l’ingérence n’était pas « prévue par la loi » ni « nécessaire dans une société démocratique ».

Par la suite, le requérant note que la sanction disciplinaire constitue une atteinte à son droit de conscience. Or, étant donné que le paragraphe 2 de l’article 9 prévoit des limitations seulement à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, il s’ensuit que l’ingérence à sa liberté de conscience n’était pas légitime.

D’autre part, le requérant estime que la sanction disciplinaire litigieuse constitue une ingérence dans son droit à la liberté d’expression, et que cette ingérence n’était pas « prévue par la loi » ni « nécessaire dans une société démocratique ». En outre, en se référant à la jurisprudence de la Cour, le requérant est d’avis qu’au sujet du droit d’expression, les restrictions doivent être interprétées d’une manière encore plus restrictive que dans les domaines couverts par les articles 8 et 11.

En outre, le requérant estime que puisqu’un magistrat ne peut s’associer librement à la maçonnerie, il y aurait en l’espèce ingérence dans l’exercice de son droit et celle-ci ne serait pas « prévue par la loi » ni « nécessaire dans une société démocratique ». Au sujet des restrictions qui peuvent être imposées sur la base de la dernière phrase du paragraphe 2, le requérant rappelle que celles-ci doivent être interprétées de manière restrictive et doivent être « légitimes ». Or il estime qu’un magistrat ne pourrait être considéré comme étant un « membre » de « l’administration de l’Etat », étant donné qu’il fait partie du pouvoir judiciaire qui lui, est indépendant de l’administration de l’Etat. De toute manière, la restriction ne serait pas légitime puisqu’elle ne tire pas son origine d’une disposition juridique claire, précise et prévisible mais plutôt d’un revirement de la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature quant à l’article 18 du décret 511 de 1946. De plus, ce revirement a eu lieu deux ans après que le requérant ait quitté la maçonnerie. Puisqu’il ne pouvait pas prévoir que l’article 18 – au libellé générique – aurait été interprété de la sorte, la décision attaquée ne serait pas légitime.

Enfin, d’après le requérant, il y aurait une discrimination entre magistrats qui adhèrent à la maçonnerie et ceux qui adhèrent à d’autres associations qui ne présentent certainement pas moins de liens entre les associés. Il cite, par exemple, l’Opus Dei, le Rotary et le Lions. D’après le requérant, le Conseil supérieur de la magistrature serait conscient de cette discrimination parce que le 22 mars 1990, il a estimé « devoir attirer l’attention du ministère de la Justice sur l’opportunité de proposer que des limitations éventuelles au droit d’association des magistrats visent toutes les associations qui – en raison de leur organisation et leurs buts – comportent pour leurs membres des liens de hiérarchie et solidarité particulièrement contraignants ». Cette orientation aurait toutefois été méconnue par la Section disciplinaire par la suite, puisqu’elle a uniquement « poursuivi » les magistrats membres ou ancien membres de la maçonnerie.

Selon le Gouvernement, les arguments du requérant sont viciés de toute une série de contradictions et d’omissions qui faussent les termes de la question concernant la recevabilité et le bien-fondé des griefs.

En ce qui concerne plus particulièrement le grief visant l’article 11 de la Convention, selon le Gouvernement, le requérant considérerait que, selon les termes mêmes de cette disposition, des restrictions légitimes peuvent être imposées à l’exercice des droits y garantis, par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. Or, en ce qui concerne les magistrats, ces limites se justifient de façon particulière pour assurer le respect
de l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Par conséquent, il serait erroné de considérer que les magistrats ont le même droit d’association que les autres citoyens. Cela dit, les caractéristiques de la maçonnerie sont porteuses de problèmes par rapport aux obligations des magistrats. Le Gouvernement se réfère en particulier au serment et à la structure hiérarchique de l’organisation, au caractère perpétuel du lien – au moins spirituel – d’association.

En outre, selon le Gouvernement, le requérant omet de fournir certains renseignements d’ordre historique qui permettent d’apprécier la situation. Il rappelle qu’au début des années quatre-vingt, des enquêtes judiciaires ont permis d’établir l’existence de secteurs déviationnistes et secrets de la maçonnerie, qui souvent ne pouvaient être distingués

de l’organisation officielle. Or ce contexte doit être pris en compte afin d’évaluer les caractéristiques de la maçonnerie et l’incompatibilité éventuelle entre l’adhésion à celle-ci et l’exercice des fonctions de magistrat, en particulier avec l’obligation d’assurer une image de fiabilité.

Enfin, le Gouvernement estime que le requérant ne fait pas preuve de cohérence dans la mesure où, après avoir indiqué que l’adhésion à la maçonnerie était légitime aussi bien en ce qui concerne ses motivations personnelles que l’organisation et la structure du Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani, il tire argument de ce qu’il avait demandé sa mise en sommeil après l’ouverture d’une enquête par le parquet de Palmi. D’après le Gouvernement, le requérant reconnaîtrait ainsi l’inopportunité de son adhésion à la maçonnerie. De ce fait, contrairement à ce qu’il indique, il ne se plaindrait pas devant la Cour européenne d’une méconnaissance de droits garantis par la Convention mais de la décision disciplinaire en elle-même. En effet, il reprocherait au Conseil supérieur de la magistrature le fait de ne pas avoir pris en compte sa bonne foi ainsi que l’impossibilité de prévoir l’attitude hostile dudit Conseil aux adhésions à la maçonnerie. Toutefois, il y aurait lieu de tenir compte du fait que, lors de l’inscription du requérant à la maçonnerie, des enquêtes judiciaires de très grand retentissement étaient en cours depuis des années et que le requérant aurait pu arriver à la même conclusion d’inopportunité à laquelle il est arrivé par la suite.

En conclusion, le Gouvernement estime que le recours n’est pas fondé.

La Cour a examiné les arguments des parties. Elle estime que les griefs soulèvent des questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.

2. Le requérant s’est plaint de la durée de la procédure disciplinaire ainsi que de ce qu’il aurait subi la sanction disciplinaire – à considérer comme une sanction pénale – en violation du principe « pas de peine sans loi ». Il invoque la violation des articles 6 § 1, et 7 de la Convention.

La Cour note que ces griefs ont été présentés pour la première fois le 29 octobre 1999, soit plus de six mois à partir du 10 décembre 1996, date de la décision interne définitive (article 35 § 1 de la Convention).

Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant concernant les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention, pris isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention ;

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.

Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président