Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 11 Gennaio 2005

Sentenza 09 aprile 2002, n.22723-24-25/93

Cour européenne des Droits de l’Homme

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE YAZAR ET AUTRES
c. TURQUIE
(Requêtes nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93)
ARRÊT
STRASBOURG
9 avril 2002

En l’affaire Yazar et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. M. Pellonpää, président,
A. Pastor Ridruejo,
Mme V. Strážnická,
MM. M. Fischbach,
J. Casadevall,
R. Maruste, juges,
F. Gölcüklü, juge ad hoc,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mars 2002,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 3 juin 1999 (article 5 § 4 du Protocole no 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).
2. A son origine se trouvent trois requêtes (nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93) dirigées contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Feridun Yazar, M. Ahmet Karataş, M. İbrahim Aksoy, et le Parti du travail du peuple (Halkın Emeği Partisi, ci-après « le HEP ») (« les requérants »), avaient saisi la Commission le 24 septembre 1993 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention.
3. Les requérants alléguaient en particulier que la dissolution du HEP aurait méconnu le droit à la liberté d’association ainsi que le droit à la liberté de pensée et à la liberté d’expression, qu’ils étaient victimes d’une prétendue discrimination en raison des opinions politiques défendues par le HEP et que la Cour constitutionnelle n’aurait pas entendu leur cause dans le cadre d’une audience publique.
4. La Commission a déclaré les requêtes recevables le 3 avril 1995. Dans son rapport du 1er mars 1999 (ancien article 31 de la Convention) [Note du greffe : le rapport est disponible au greffe], elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention, qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 9 et 10 de la Convention et qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention. Elle conclut en outre par vingt-deux voix contre quatre qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
5. M. Feridun Yazar et M. İbrahim Aksoy sont représentés par Me H. Kaplan, avocat au barreau d’Istanbul, et M. Ahmet Karataş par Me Y. Alataş, avocat au barreau d’Ankara.
6. Le 7 juillet 1999, un collège de la Grande Chambre a décidé que l’affaire devait être examinée par une chambre (article 100 § 1 du règlement). La chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (article 28), le Gouvernement turc (« le Gouvernement ») a désigné M. F. Gölcüklü pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire.
8. Après consultation de l’agent du Gouvernement et des requérants, la chambre a décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience (article 59 § 2 in fine du règlement). Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. A l’époque des faits, le premier requérant, Feridun Yazar, était président du HEP (Halkın Emeği Partisi : Parti du travail du peuple), le deuxième requérant, Ahmet Karataş, en était le vice-président et le troisième requérant, İbrahim Aksoy, le secrétaire général.
10. Le 7 juin 1990, le HEP fut fondé et la déclaration de constitution fut déposée auprès du ministère de l’Intérieur.
11. Le 3 juillet 1992, le procureur général près la Cour de cassation intenta devant la Cour constitutionnelle turque une action en dissolution du HEP. Dans son réquisitoire, le procureur général reprocha à ce parti d’avoir porté atteinte à l’intégrité de l’Etat. Il estima que certaines déclarations des dirigeants et responsables des structures du parti, tant centrales que locales, faites lors de diverses réunions et à la presse avaient violé la Constitution et la loi portant réglementation des partis politiques. Le procureur général reprocha également au HEP de fournir aide et protection à ceux de ses membres qui avaient commis des actes illégaux.
12. Le 8 juillet 1992, le président de la Cour constitutionnelle transmit le réquisitoire du procureur général au président du HEP et invita ce dernier à soumettre ses observations préliminaires en défense.
13. Le 3 septembre 1992, l’avocat du HEP présenta ses observations écrites préliminaires et demanda la tenue d’une audience. Dans ses observations écrites, il soutint notamment que la loi portant réglementation des partis politiques renfermait des dispositions contraires aux droits fondamentaux garantis par la Constitution. Il fit valoir en outre que la dissolution du parti, demandée par le procureur général, enfreindrait les dispositions de textes internationaux tels que la Convention européenne des Droits de l’Homme, le Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques, l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe. Il contesta également l’insuffisance d’éléments de preuve à charge démontrant les liens du HEP avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Il affirma de surcroît que le réquisitoire du procureur général se référait à des déclarations faites par des particuliers, ce qui, en vertu de l’article 101 b) de la loi portant réglementation des partis politiques, ne saurait engager la responsabilité du HEP.
14. Le 22 janvier 1993, l’avocat du HEP présenta ses observations sur le fond. Il sollicita de nouveau la tenue d’une audience. Par ailleurs, il demanda, au cas où cette requête serait rejetée, que le président ainsi que les ex-présidents du HEP fussent entendus par la Cour constitutionnelle.
15. La Cour constitutionnelle accepta cette dernière demande. De ce fait, l’ex-président et le président du HEP présentèrent oralement leurs observations devant elle le 1er mars 1993.
16. Le 14 juillet 1993, la Cour constitutionnelle décida de dissoudre le HEP. Cette décision fut notifiée au procureur général, au président de l’Assemblée nationale et au cabinet du premier ministre.
17. L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fut publié au Journal officiel du 18 août 1993.
18. Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle rappela d’emblée les grands principes de la Constitution, pertinents en l’espèce, selon lesquels les personnes résidant sur le territoire turc, quelle que soit leur origine ethnique, formaient une unité à travers leur culture commune. Ainsi, l’ensemble de ces personnes, qui formait la base de la République de Turquie, composait la « nation turque ». De ce fait, les groupes ethniques constituant la « nation » ne se divisaient pas en majorité ni en minorité. La Cour constitutionnelle rappela que, selon la Constitution, aucune distinction d’ordre politique ou juridique, qui serait fondée sur l’origine ethnique ou raciale, n’était autorisée entre les citoyens turcs : tous les ressortissants turcs bénéficiaient sans distinction de l’ensemble des droits civils, politiques et économiques.
19. En ce qui concerne particulièrement les citoyens turcs d’origine kurde, la Cour constitutionnelle indiqua que ceux-ci jouissaient des mêmes droits que les autres citoyens turcs dans toutes les régions de Turquie. Elle ajouta qu’il n’en résultait pas que l’identité kurde n’était pas reconnue dans la Constitution : les ressortissants d’origine kurde n’étaient pas empêchés d’exprimer leur identité kurde. La langue kurde pouvait être utilisée dans tous les lieux privés, dans les locaux de travail, dans la presse écrite et dans les œuvres artistiques et littéraires.
20. La Cour constitutionnelle rappela le principe selon lequel toute personne était tenue de respecter les dispositions de la Constitution même si elle ne les approuvait pas. La Constitution n’interdisait pas qu’il soit fait état des différences mais prohibait la propagande fondée sur la distinction raciale et destinée à mettre fin à l’ordre constitutionnel. La Cour constitutionnelle rappela que, selon le traité de Lausanne, une langue ou une origine ethnique distinctes ne suffisaient pas, à elles seules, à accorder à un groupe la qualité de minorité.
21. Pour ce qui est des activités du HEP, la Cour constitutionnelle examina notamment les déclarations écrites et orales formulées lors de réunions publiques et privées par des dirigeants du parti, ainsi que par d’autres responsables de divers niveaux. Elle prit également en considération le contenu des calendriers destinés à la vente au public, ainsi que des slogans lancés au cours de diverses réunions organisées dans les locaux du HEP.
22. La Cour constitutionnelle reprocha en particulier au HEP de « chercher à diviser l’intégrité de la nation turque en deux, avec les Turcs d’un côté et les Kurdes de l’autre, dans le but de fonder des Etats séparés » et de « chercher à détruire l’intégrité nationale et territoriale ». Elle estima à cet égard que, par ses activités, le HEP alléguait l’existence en Turquie d’un peuple kurde distinct ayant une culture et une langue qui lui étaient propres. Il soutenait que les Kurdes ne pouvaient pratiquer librement leur langue et leur culture. Le HEP réclamait le droit à l’autodétermination pour le peuple kurde, préconisait la création de « départements kurdes » et qualifiait les actes de terrorisme commis par le PKK d’actes de guerre internationale. Le HEP considérait les terroristes du PKK comme des combattants pour la liberté et prétendait que les forces de l’ordre, au lieu de lutter contre ces derniers, essayaient en réalité d’exterminer massivement la population kurde. Dans toutes ses activités, dans lesquelles il mettait exclusivement l’accent sur l’égalité des Turcs et des Kurdes, le HEP prônait la création d’un Etat, fondé sur des bases racistes, mettant ainsi en péril la notion de la « nation turque », élément fondateur de l’Etat. Selon la Cour constitutionnelle, « les objectifs du HEP présentaient des similitudes avec ceux des terroristes » et « l’affirmation, fondée sur des arguments contraires à la vérité, de thèmes accusateurs et agressifs, que les responsables du HEP martelaient dans un souci de provocation, était de nature à tolérer les actes de terreur, à donner raison à leurs auteurs et à favoriser ces derniers ».
23. La Cour constitutionnelle conclut que les activités du HEP relevaient, notamment, des restrictions énoncées au paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention ainsi que des dispositions de son article 17. Elle rappela dans ce contexte que la Charte de Paris pour une nouvelle Europe condamnait le racisme, la haine fondée sur l’origine ethnique et le terrorisme. Par ailleurs, l’Acte final d’Helsinki garantissait le respect (des principes) de l’inviolabilité des frontières et de l’intégrité du territoire.
24. La Cour constitutionnelle ordonna dès lors la dissolution du HEP, au motif que ses activités étaient de nature à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat et à l’unité de la nation.
25. Toutefois, la Cour constitutionnelle rejeta le deuxième argument du parquet, selon lequel le HEP tolérerait de manière implicite ou explicite les agissements illégaux de ses membres. A cet égard, elle tint compte du fait que les diverses procédures pénales entamées contre les membres du HEP étaient encore pendantes, et que jusque-là aucune condamnation n’avait été prononcée à leur égard.
II. THÈSES SOUTENUES PAR LES DIRIGEANTS DU HEP, EXPOSÉES PAR LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE DANS SON ARRÊT DU 14 JUILLET 1993
26. Les principales idées développées dans les discours, explications et déclarations des dirigeants du HEP, telles qu’elles ont été mentionnées dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle turque, peuvent se résumer comme suit :
– Il existe en Turquie un peuple kurde qui possède une langue et une culture distinctes et qui est opprimé.
– Les Kurdes n’ont pas le droit de lire, d’écrire ni de progresser en kurde et ils ne peuvent pas développer leur culture.
– Les Kurdes luttent pour la liberté et la démocratie. Un parallélisme est établi avec la légende de Kawa qui, il y a 2 600 ans, s’est révolté contre l’oppression de Dehhak ; l’on prétend que Kawa fait de plus en plus d’émules.
– Le peuple kurde a droit à l’autodétermination.
– Le peuple kurde ne bénéficie d’aucun droit découlant des accords internationaux.
– Les problèmes dans l’Est du pays ne sont pas de nature économique.
– Les mesures légales prises à l’encontre de l’organisation terroriste constituent une guerre internationale, et l’organisation armée, le PKK, est l’une des parties belligérantes.
– Les militants armés faisant partie de cette organisation sont des combattants pour la liberté. Il est donc normal que le droit international de la guerre leur soit appliqué, ce que le gouvernement turc ne met absolument pas en pratique.
– L’armée de la République de Turquie et les forces de l’ordre ont pour but d’anéantir massivement et physiquement les masses populaires kurdes qui constituent la source des combattants kurdes, plutôt que de les combattre.
– Depuis l’éclatement de l’URSS, l’évolution historique a entraîné les citoyens d’origine kurde de la nation turque à manifester de l’intérêt pour ce phénomène, et un parallélisme a ainsi été dressé avec la situation de la population de la Palestine.
– La République a été fondée par les peuples turc et kurde. Les Turcs et les Kurdes doivent, sans tenir compte des autres groupes ethniques, instaurer un système social sur la base de l’égalité entre eux.
– La force gouvernementale en poste dans le Sud-Ouest a été déployée non pas contre les terroristes mais contre le peuple kurde, et s’est appropriée ses droits nationaux.
– Le HEP est également le parti des Kurdes opprimés, des travailleurs, des autres groupes ethniques opprimés et exploités, des Arabes, des Circassiens, des Lazes et des Albanais.
– L’Organisation des Nations unies se doit de convoquer une conférence pour la question kurde dans les plus brefs délais.
– Le problème kurde est le plus grand obstacle à la démocratie. Aussi longtemps qu’il ne sera pas résolu, la démocratie en Turquie ne pourra pas se développer.
III. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution
27. Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi :
Article 2
« La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l’homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d’Atatürk et reposant sur les principes fondamentaux énoncés dans le préambule. »
Article 3 § 1
« L’Etat de Turquie constitue, avec son territoire et sa nation, une entité indivisible. Sa langue officielle est le turc. »

Article 14 § 1
« Les droits et libertés mentionnés dans la Constitution ne peuvent être exercés dans le but de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat et à l’unité de la nation, de mettre en péril l’existence de l’Etat turc et de la République, de supprimer les droits et libertés fondamentaux, de confier la direction de l’Etat à un seul individu ou à un groupe ou d’assurer l’hégémonie d’une classe sociale sur d’autres classes sociales, d’établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou l’appartenance à une secte religieuse, ou d’instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions. »
Article 68
« Les citoyens ont le droit de fonder des partis politiques et, conformément à la procédure prévue à cet effet, d’y adhérer et de s’en retirer. (…)
Les partis politiques sont les éléments indispensables de la vie politique démocratique.
Les partis politiques sont fondés sans autorisation préalable et exercent leurs activités dans le respect de la Constitution et des lois.
(…) Le statut, le règlement et les activités des partis politiques ne peuvent être contraires à l’indépendance de l’Etat, à son intégrité territoriale et à celle de sa nation, aux droits de l’homme, aux principes d’égalité et de la prééminence du droit, à la souveraineté nationale, ou aux principes de la République démocratique et laïque. Il ne peut être fondé de partis politiques ayant pour but de préconiser et d’instaurer la domination d’une classe sociale ou d’un groupe, ou une forme quelconque de dictature. (…) »
Article 69
« Les partis politiques ne peuvent pas se livrer à des activités étrangères à leurs statuts et à leurs programmes, et ne peuvent se soustraire aux restrictions prévues à l’article 14 de la Constitution ; ceux qui les enfreignent sont définitivement dissous.
(…)
Les décisions et le fonctionnement interne des partis politiques ne peuvent être contraires aux principes de la démocratie.
(…)
Dès la fondation des partis politiques, le procureur général de la République contrôle en priorité la conformité à la Constitution et aux lois de leurs statuts et programmes ainsi que de la situation juridique de leurs fondateurs. Il en suit également les activités.
La Cour constitutionnelle statue définitivement sur la dissolution des partis politiques à la requête du procureur général de la République près la Cour de cassation.
Les fondateurs et les dirigeants à tous les échelons des partis politiques définitivement dissous ne peuvent être fondateurs, dirigeants ou commissaires aux comptes d’un nouveau parti politique, et il ne peut être fondé de nouveaux partis politiques dont la majorité des membres serait constituée de membres d’un parti politique dissous. (…) »
B. La loi no 2820 portant réglementation des partis politiques (promulguée le 24 avril 1983)
28. A l’époque des faits, les dispositions pertinentes de la loi no 2820 se lisaient ainsi :
Article 78
« Les partis politiques :
(…) ne peuvent ni viser, ni œuvrer, ni inciter des tiers :
– à modifier (…) les dispositions légales relatives à l’intégrité absolue du territoire de l’Etat turc, à l’unité absolue de sa nation, à sa langue officielle (…)
– à mettre en péril l’existence de l’Etat et de la République turcs, à abolir les droits et libertés fondamentaux, à établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur de la peau, la religion ou l’appartenance à un courant religieux, ou à instaurer, par tout moyen, un régime étatique fondé sur de telles notions et conceptions. Les partis politiques ne peuvent pas inciter les tiers à agir en fonction de ces buts. »
Article 80
« Les partis politiques ne peuvent avoir pour but d’affaiblir le principe de l’Etat unitaire sur lequel se fonde la République turque ni se livrer à des activités poursuivant pareille fin. »
Article 81
« Les partis politiques ne peuvent :
a) affirmer l’existence, sur le territoire de la République de Turquie, de minorités fondées sur des différences tenant à la culture nationale ou religieuse, à l’appartenance à une secte, à la race ou à la langue ;
b) avoir pour but la destruction de l’intégrité de la nation en se proposant, sous couvert de protection, promotion ou diffusion d’une langue ou d’une culture non turques, de créer des minorités sur le territoire de la République de Turquie ou de se livrer à des activités connexes. (…) »
Article 84
« Perte de la qualité de membre
Lorsque le Conseil de la Présidence de la Grande Assemblée nationale a validé la démission des députés, la perte de leur qualité de membre est décidée par la Grande Assemblée nationale siégeant en Assemblée plénière.
La perte de la qualité de membre par le député condamné ne peut avoir lieu qu’après notification à l’Assemblée plénière par le tribunal de l’arrêt définitif de condamnation.
Le député qui persiste à exercer une fonction ou une activité incompatible avec la qualité de membre, au sens de l’article 82, est déchu de sa qualité après un vote secret de l’Assemblée plénière à la lumière du rapport de la commission compétente mettant en évidence l’exercice par l’intéressé de la fonction ou activité en question.
Lorsque le Conseil de la Présidence de la Grande Assemblée nationale relève qu’un député, sans autorisation ni excuse valable, s’est abstenu pendant cinq jours au total sur un mois de participer aux travaux de l’Assemblée, ce député perd sa qualité de membre après un vote à la majorité de l’Assemblée plénière.
Le mandat du député dont les actes et les propos ont, selon l’arrêt de la Cour constitutionnelle, entraîné la dissolution du parti, prend fin à la date de la publication de cet arrêt au Journal officiel. La présidence de la Grande Assemblée nationale met à exécution cette partie de l’arrêt et en informe l’Assemblée plénière. »
Article 90 [premier article du chapitre 4]
« Les statuts, programmes et activités des partis politiques ne peuvent contrevenir à la Constitution et à la présente loi. »
Article 101
« La Cour constitutionnelle prononce la dissolution du parti politique :
a) dont les statuts ou le programme (…) se révèlent contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi, ou
b) dont l’assemblée générale, le bureau central ou le conseil administratif (…) adoptent des décisions, émettent des circulaires ou font des communications (…) contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi (…), ou dont le président, le vice-président ou le secrétaire général font des déclarations écrites ou orales contraires auxdites dispositions (…) »
Article 103
« Lorsqu’il est constaté qu’un parti politique est devenu un centre d’activités contraires aux dispositions des articles 78 à 88 et de l’article 97 de la présente loi, ce parti politique est dissous par la Cour constitutionnelle. »
Article 107 § 1
« L’intégralité des biens d’un parti politique dissous par la Cour constitutionnelle est transférée au Trésor public. »

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
29. Les requérants allèguent que la dissolution du Parti du travail du peuple (« le HEP ») a enfreint leur droit à la liberté d’association, garanti par l’article 11 de la Convention, qui se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
A. Sur l’applicabilité de l’article 11
30. A titre préliminaire, le gouvernement défendeur soulève la question de l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques. Selon lui, les Etats parties à la Convention n’ont à aucun moment entendu soumettre au contrôle des organes de Strasbourg leurs institutions constitutionnelles, et notamment les principes qu’ils considèrent comme des conditions essentielles de leur existence. Le discours d’un parti politique, amplifié par une organisation implantée sur de nombreux points du territoire, pourrait faire encourir à l’Etat un grand danger lorsqu’il prône le séparatisme territorial et l’éclatement national en incitant à la haine les différentes composantes de la population. Dans ces cas extrêmes, les critères de la jurisprudence de la Cour en la matière ne seraient pas pertinents, dans la mesure où les déclarations en question ne relèvent pas du discours politique ordinaire fondé sur le pluralisme des opinions. Le Gouvernement estime que l’examen de la jurisprudence des organes de la Convention en matière de partis politiques montre que la dissolution de ces derniers relève de la marge d’appréciation des cours constitutionnelles, et rappelle qu’en l’espèce ce sont les principes constitutionnels fondamentaux de la Turquie qui sont en jeu.
31. Les requérants, ainsi que la Commission, estiment que rien dans le libellé de l’article 11 ne permet de considérer que les partis politiques seraient exclus du champ d’application de cette disposition.
32. Dans son arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, la Cour a jugé que les partis politiques représentaient une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie et que, eu égard à l’importance de celle-ci dans le système de la Convention, il ne pouvait faire aucun doute que lesdits partis relevaient de l’article 11. Elle a rappelé d’autre part qu’une association, fût-ce un parti politique, ne se trouvait pas soustraite à l’empire de la Convention par cela seul que ses activités passaient aux yeux des autorités nationales pour porter atteinte aux structures constitutionnelles d’un Etat et appeler des mesures restrictives (arrêt du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 17, §§ 25 et 27). La Cour ne voit aucune raison de parvenir à une autre conclusion en l’espèce.
Il s’ensuit que cette exception du Gouvernement ne peut être retenue.
B. Sur l’observation de l’article 11
1. Sur l’existence d’une ingérence
33. Le Gouvernement, sous réserve de ses observations quant à l’applicabilité de l’article 11, ainsi que les requérants reconnaissent que la dissolution du HEP s’analyse en une ingérence dans le droit à la liberté d’association des requérants. C’est aussi l’opinion de la Cour.
2. Sur la justification de l’ingérence
34. Pareille ingérence enfreint l’article 11, sauf si elle était « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.
a) « Prévue par la loi »
35. Les parties s’accordent à considérer que l’ingérence était « prévue par la loi », les mesures litigieuses prononcées par la Cour constitutionnelle reposant notamment sur les articles 2, 3, 14 et 68 ancien de la Constitution ainsi que sur les articles 78, 80, 81 et 101 de la loi no 2820 portant réglementation des partis politiques (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).

b) But légitime
36. Pour le Gouvernement, l’ingérence litigieuse visait plusieurs buts légitimes : la défense de la sûreté publique, la protection des droits d’autrui, la sécurité nationale et l’intégrité territoriale du pays.
37. Les requérants affirment que leur parti et eux-mêmes ont toujours prôné des solutions pacifistes aux problèmes des citoyens d’origine kurde en Turquie.
38. De l’avis de la Commission, les mesures litigieuses peuvent passer pour avoir visé au moins un des buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 11 : la protection de l’intégrité territoriale et, ainsi, la « sécurité nationale ».
39. La Cour partage l’avis de la Commission sur ce point.
c) « Nécessaire dans une société démocratique »
i. Thèses des comparants
α) Les requérants
40. Les requérants contestent les motifs avancés par la Cour constitutionnelle turque dans sa décision de dissolution du HEP. Ils rappellent à cet égard que le pluralisme dans une société démocratique exige la libre expression de toutes les opinions, même si celles-ci ne correspondent pas à celles exprimées par le gouvernement.
41. Ils soutiennent par ailleurs que, dans leurs discours publics, les responsables du HEP se sont contentés de mettre l’accent sur l’existence d’un problème « kurde » en Turquie et que, dans tous ces discours, ils ont prôné une solution démocratique et pacifique à ce problème, conformément aux normes établies par les textes internationaux en matière de libertés publiques. Ils n’ont jamais plaidé pour la sécession d’une partie du territoire de la Turquie. Ils signalent que, de toute façon, une telle proposition est passible de sanctions pénales au regard du droit turc et qu’aucun responsable du HEP n’a été condamné au pénal pour une telle infraction avant la dissolution du parti.
Les requérants en concluent que la dissolution du HEP n’était pas justifiée au regard des dispositions de la Convention.
β) Le Gouvernement
42. Le Gouvernement soutient que, selon la Cour constitutionnelle turque, les principes caractérisant le régime constitutionnel de l’Etat, y compris celui concernant l’indivisibilité de la nation, constituent des valeurs absolues que les partis politiques sont tenus de respecter.
Le Gouvernement fait valoir que le HEP, en invoquant « le droit à l’autodétermination du peuple kurde », essayait d’établir, au sein de la nation turque, une discrimination fondée sur l’appartenance ethnique. Cette approche, qui propose de créer une minorité basée sur l’origine ethnique au sein de la nation, est incompatible avec l’intégrité nationale. Or cette dernière notion se fonde sur l’égalité des droits des citoyens sans aucune distinction.
43. Quant à l’absence de condamnation au pénal prononcée à l’encontre des responsables du HEP, le Gouvernement fait observer que la dissolution d’un parti politique ne constitue pas une conclusion liée à la violation d’une norme pénale, mais est un moyen de préserver l’ordre libéral démocratique et, en tant que tel, joue un rôle préventif. En résumé, les activités ne constituant pas des infractions pénales pourraient justifier cette dissolution.
44. Selon le Gouvernement, dans une période de terrorisme menaçant l’intégrité territoriale, les dirigeants d’un parti politique doivent s’abstenir de faire des déclarations de soutien aux terroristes, de reprendre leurs thèses ou de faire leur apologie. En se référant aux propos litigieux pris en compte par la Cour constitutionnelle, le Gouvernement fait valoir qu’à aucun moment les instances dirigeantes du HEP ne se sont démarquées de ces prises de position, mais au contraire se sont identifiées complètement à elles.
Le Gouvernement estime que, dans ces circonstances, la dissolution du HEP était « nécessaire dans une société démocratique » et répondait à un besoin social impérieux, à savoir la sauvegarde de l’ordre public et des droits d’autrui.
γ) La Commission
45. La Commission estime que, même si les dirigeants du HEP critiquaient vivement la façon dont les forces de l’ordre turques menaient la lutte contre les organisations terroristes prokurdes, pareilles critiques ne permettaient pas à elles seules d’assimiler ce parti politique à une organisation terroriste. Selon la Commission, il est vrai que le PKK a utilisé certains principes prônés par le HEP, tels que le droit à l’autodétermination, la reconnaissance des droits linguistiques, comme des prétextes afin de justifier ses actes de terrorisme. La Commission estime cependant qu’on ne peut reprocher au HEP d’avoir défendu, sans préconiser le recours à la violence, ces principes qui ne sont pas, en soi, contraires aux valeurs d’une société démocratique.
ii. Appréciation de la Cour
46. La Cour rappelle que, malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, l’article 11 doit s’envisager aussi à la lumière de l’article 10. La protection des opinions et la liberté de les exprimer constituent des objectifs de la liberté de réunion et d’association consacrée par l’article 11. Il en va d’autant plus ainsi dans le cas de partis politiques, eu égard à leur rôle essentiel pour le maintien du pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie.
Il n’est pas de démocratie sans pluralisme. C’est pourquoi la liberté d’expression consacrée par l’article 10 vaut, sous réserve du paragraphe 2, non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49, et Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A no 298, p. 26, § 37). En tant que leurs activités prennent part à un exercice collectif de la liberté d’expression, les partis politiques peuvent déjà prétendre à la protection des articles 10 et 11 de la Convention (arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, pp. 20 et 21, §§ 42 et 43).
47. Quant aux liens entre la démocratie et la Convention, la Cour a fait les observations suivantes (voir, parmi d’autres, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, pp. 21 et 22, § 45) :
« La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de « l’ordre public européen » (…). Ceci ressort d’abord du préambule à la Convention, qui établit un lien très clair entre la Convention et la démocratie en déclarant que la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales reposent sur un régime politique véritablement démocratique d’une part, et sur une conception commune et un commun respect des droits de l’homme d’autre part (…). Le même préambule énonce ensuite que les Etats européens ont en commun un patrimoine d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit. La Cour a vu dans ce patrimoine commun les valeurs sous-jacentes à la Convention (…) ; à plusieurs reprises, elle a rappelé que celle-ci était destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique (…)
En outre, les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention requièrent d’apprécier les ingérences dans l’exercice des droits qu’ils consacrent à l’aune de ce qui est « nécessaire dans une société démocratique ». La seule forme de nécessité capable de justifier une ingérence dans l’un de ces droits est donc celle qui peut se réclamer de la « société démocratique ». La démocratie apparaît ainsi comme l’unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant, le seul qui soit compatible avec elle. »
48. La Cour a aussi défini les limites dans lesquelles les formations politiques peuvent mener des activités en bénéficiant de la protection des dispositions de la Convention (ibidem, p. 27, § 57) :
« (…) l’une des principales caractéristiques de la démocratie réside dans la possibilité qu’elle offre de résoudre par le dialogue et sans recours à la violence les problèmes que rencontre un pays, et cela même quand ils dérangent. La démocratie se nourrit en effet de la liberté d’expression. Sous ce rapport, une formation politique ne peut se voir inquiétée pour le seul fait de vouloir débattre publiquement du sort d’une partie de la population d’un Etat et se mêler à la vie politique de celui-ci afin de trouver, dans le respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent satisfaire tous les acteurs concernés. »
49. Sur ce point, la Cour estime qu’un parti politique peut mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’Etat à deux conditions : 1) les moyens utilisés à cet effet doivent être à tous points de vue légaux et démocratiques ; 2) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux. Il en découle nécessairement qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas une ou plusieurs règles de la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs (voir, mutatis mutandis, les arrêts Parti socialiste et autres c. Turquie du 25 mai 1998, Recueil 1998-III, pp. 1256 et 1257, §§ 46 et 47, et Lawless c. Irlande (fond) du 1er juillet 1961, série A no 3, pp. 45 et 46, § 7).
50. On ne saurait exclure non plus que le programme d’un parti politique ou les déclarations de ses responsables cachent des objectifs et intentions différents de ceux qu’ils affichent publiquement. Pour s’en assurer, il faut comparer le contenu dudit programme ou desdites déclarations avec l’ensemble des actes et prises de position de leurs titulaires (arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie et autres, p. 27, § 58, et Parti socialiste et autres, pp. 1257 et 1258, § 48).
51. Par ailleurs, dans la recherche de la nécessité d’une ingérence dans une société démocratique, l’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 11 § 2, implique un « besoin social impérieux ».
La Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais il lui incombe de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas que la Cour doit se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir, mutatis mutandis, les arrêts Ahmed et autres c. Royaume-Uni du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, pp. 2377 et 2378, § 55, Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, pp. 500 et 501, § 40).
52. En l’espèce, il appartient à la Cour d’apprécier si la dissolution du HEP et les sanctions accessoires infligées aux requérants répondaient à un « besoin social impérieux » et si elles étaient « proportionnées aux buts légitimes poursuivis ».
53. La Cour note d’emblée que, dans son arrêt de dissolution, la Cour constitutionnelle n’a pas examiné la conformité à la loi du programme et des statuts du HEP, mais s’est prononcée uniquement sur la question de savoir si ses activités politiques se heurtaient ou non aux interdictions en la matière. Pour prononcer la dissolution du parti, elle a tiré argument des déclarations publiques des dirigeants du HEP, qu’elle a considérées comme des faits et éléments de preuve liant ce parti politique dans son ensemble. En conséquence, la Cour peut limiter son examen auxdites déclarations.
54. Quant à la question de savoir si le HEP menait sa campagne politique par des moyens légaux et démocratiques, ou si ses dirigeants prônaient le recours à la violence comme moyen politique, la Cour constitutionnelle estima que « les objectifs du HEP présentaient des similitudes avec ceux des terroristes » et que « l’affirmation, fondée sur des arguments contraires à la vérité, de thèmes accusateurs et agressifs, que les responsables du HEP martelaient dans un souci de provocation, était de nature à tolérer les actes de terreur, à donner raison à leurs auteurs et à favoriser ces derniers ». Ces constats se trouvent à la base de la thèse que le Gouvernement a soutenue devant la Cour et selon laquelle les responsables du HEP auraient incité la population à la haine ethnique, à l’insurrection, et donc à la violence.
55. La Cour doit rechercher si de tels constats peuvent passer pour être fondés sur une appréciation acceptable des faits pertinents. Elle observe d’abord que le HEP n’exprimait aucun soutien ou approbation explicite pour l’utilisation de la violence à des fins politiques. Par ailleurs, l’incitation à la haine ethnique et l’incitation à l’insurrection sont passibles de sanctions pénales en Turquie. Or, à l’époque des faits, aucun responsable du HEP n’a été frappé d’une condamnation pénale pour un tel acte. C’est justement en s’appuyant sur cet argument que la Cour constitutionnelle a rejeté l’allégation du procureur général de la Cour de cassation, selon laquelle le HEP s’était transformé en un centre d’activités illégales. En l’absence d’appels à recourir à la violence ou à d’autres moyens illégaux, la thèse du Gouvernement, tirée, en partie, de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, selon laquelle le HEP aurait appuyé et approuvé l’usage de la violence ou des moyens illégaux à des fins politiques, ne convainc pas la Cour.
56. Pour ce qui est de la question de savoir si le HEP poursuivait des buts contraires aux principes de la démocratie, la Cour constitutionnelle turque reprocha au HEP de « chercher à diviser l’intégrité de la nation turque en deux, avec les Turcs d’un côté et les Kurdes de l’autre, dans le but de fonder des Etats séparés » et de « chercher à détruire l’intégrité nationale et territoriale ». La Cour, à l’instar de la Commission, constate que le discours politique du HEP se résumait aux affirmations selon lesquelles « la population d’origine kurde ne pouvait librement utiliser sa langue et ne pouvait formuler des revendications d’ordre politique en se fondant sur le principe de l’autodétermination, les forces de l’ordre qui menaient la lutte contre les organisations terroristes prokurdes procédaient à des actes illégaux et étaient responsables, en partie, de la souffrance de citoyens d’origine kurde dans certaines régions de la Turquie » (rapport de la Commission du 1er mars 1999, § 64).
57. La Cour accepte que les principes défendus par le HEP, tels que le droit à l’autodétermination et la reconnaissance des droits linguistiques, ne sont pas, comme tels, contraires aux principes fondamentaux de la démocratie. De même, elle souscrit au raisonnement de la Commission sur le point suivant : si on estime que la seule défense des principes susmentionnés se résume, de la part d’une formation politique, en un soutien aux actes de terrorisme, on diminuerait la possibilité de traiter les questions y relatives dans le cadre d’un débat démocratique, et on permettrait aux mouvements armés de monopoliser la défense de ces principes, ce qui serait fortement en contradiction avec l’esprit de l’article 11 et avec les principes démocratiques sur lesquels il se fonde.
58. Par ailleurs, la Cour estime que, même si des propositions s’inspirant de tels principes risquent de heurter les lignes directrices de la politique gouvernementale ou les convictions majoritaires dans l’opinion publique, le bon fonctionnement de la démocratie exige que les formations politiques puissent les introduire dans le débat public afin de contribuer à trouver des solutions à des questions générales qui concernent l’ensemble des acteurs de la vie politique (voir, parmi d’autres, l’arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A no 323, p. 25, § 52, et l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, p. 27, § 57). La Cour considère qu’il n’est pas utilement démontré dans l’arrêt de dissolution du 14 juillet 1993 que le HEP, par le biais de ses projets politiques, envisageait de compromettre le régime démocratique en Turquie (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie [GC], no 23885/94, § 41, CEDH 1999-VIII). Il n’est pas non plus soutenu devant la Cour que le HEP avait des chances réelles d’instaurer un système gouvernemental qui ne serait pas approuvé par tous les acteurs de la scène politique (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, p. 27, § 57).
59. Par ailleurs, les critiques sévères et hostiles des responsables du HEP à l’encontre de certains agissements des forces de l’ordre dans leur lutte contre le terrorisme ne peuvent constituer, à elles seules, des éléments de preuve afin d’assimiler le HEP aux groupes armés procédant à des actes de violence. La Cour rappelle à cet égard que les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard du gouvernement que d’un simple particulier. Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif des pouvoirs législatif et judiciaire, de la presse et de l’opinion publique (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A no 236, pp. 23 et 24, § 46). La Cour n’est pas convaincue que les députés et les responsables du HEP, en critiquant les agissements des forces de l’ordre, poursuivaient un autre but que celui de remplir leur devoir de signaler les préoccupations de leurs électeurs.
60. Eu égard à l’absence de projet politique du HEP de nature à compromettre le régime démocratique dans le pays et/ou à l’absence d’une invitation ou d’une justification de recours à la force à des fins politiques, sa dissolution ne peut raisonnablement être considérée comme répondant à un « besoin social impérieux ».
61. Rappelant la nature « radicale » de la mesure de dissolution d’un parti politique (arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie et autres, pp. 26, 27 et 28, §§ 54, 61, et Parti socialiste et autres, p. 1258, § 51), la Cour estime que, dans une société démocratique, une telle ingérence dans l’exercice de la liberté d’association des requérants dans la présente affaire n’était pas nécessaire.
En conséquence, la dissolution du HEP a emporté violation de l’article 11 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 9, 10 ET 14 DE LA CONVENTION
62. Les requérants allèguent également une violation des articles 9, 10 et 14 de la Convention. Leurs griefs portant sur les mêmes faits que ceux examinés sur le terrain de l’article 11, la Cour juge inutile de les examiner séparément.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
63. Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié d’une audience publique dans la procédure devant la Cour constitutionnelle. Ils y voient une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
64. Le Gouvernement excipe d’emblée de l’inapplicabilité de l’article 6 à la procédure devant la Cour constitutionnelle. Il fait notamment valoir que la procédure devant cette juridiction portait exclusivement sur la question de la compatibilité des actes du HEP avec les dispositions de la Constitution et ne concernait nullement les droits de caractère civil des requérants.
65. La Commission accepte cette thèse alors que les requérants la contestent.
66. La Cour a déjà considéré, dans sa décision sur la recevabilité dans l’affaire Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie (nos 41340/98, 41342/98, 41343/98, 41344/98, 3 octobre 2000) [Note du greffe : cette décision est disponible au greffe], que des griefs similaires étaient incompatibles ratione materiae avec les dispositions de l’article 6 de la Convention :
« (…) l’applicabilité de l’article 6 § 1 à une procédure constitutionnelle dépend du fond et de l’ensemble des données de chaque cas d’espèce (arrêt Bock c. Allemagne du 29 mars 1989, série A no 150, p. 18, § 37). Elle doit donc déterminer si les allégations formulées par les requérants au cours de la procédure constitutionnelle en question peuvent s’analyser en une contestation relative à un droit de caractère civil ou à une accusation en matière pénale.
En effet, la procédure devant la Cour constitutionnelle portait sur un litige relatif au droit du R.P. de poursuivre, en tant que parti politique, ses activités politiques. Il s’agissait donc, par excellence, d’un droit de nature politique qui, comme tel, ne relève pas de la garantie de l’article 6 § 1 de la Convention.
Il en est de même de l’interdiction, faite par l’article 69 de la Constitution aux fondateurs et aux dirigeants des partis politiques dissous, d’être fondateurs et dirigeants d’un nouveau parti. Il s’agit, ici aussi, d’une restriction des droits politiques des intéressés qui ne saurait relever de l’article 6 § 1 de la Convention, ni au titre d’une contestation portant sur un droit civil, ni au titre d’une accusation en matière pénale.
Il est vrai que la dissolution du R.P. a entraîné d’office, en vertu de la loi nationale, le transfert de son patrimoine au Trésor public et qu’à ce titre, une contestation aurait pu s’élever à propos d’un droit patrimonial, et donc civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Cependant, le droit au respect des biens du R.P. ne faisait aucunement l’objet du « litige » débattu devant la Cour constitutionnelle. Les parties, à savoir le procureur général et le R.P., n’ont contesté, ni dans le cadre de la procédure constitutionnelle, ni dans le cadre d’une autre procédure, le transfert des biens du R.P. au Trésor public, conséquence directe de la dissolution du parti politique telle que prévue par la loi. La Cour est d’avis que la présente affaire se distingue de l’affaire Ruiz-Mateos précitée (arrêt du 23 juin 1993, série A no 262, p. 24, § 59) qui portait sur des actions dont le caractère « civil » au sens de l’article 6 § 1 était indéniable, et sur des procédures constitutionnelles inextricablement liées aux premières. En l’espèce, toutefois, il n’y a pas eu de contestation portant sur un droit civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, le transfert des biens des parties ne faisant l’objet d’aucun litige (voir, mutatis mutandis, arrêt Pierre-Bloch c. France [du 21 octobre 1997], Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, [pp. 2222-2226,] §§ 48-61).
Partant, la Cour estime que la procédure litigieuse ne concernait ni une contestation sur les droits et obligations de caractère civil des requérants ni une accusation en matière pénale dirigée contre eux, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. »
67. La Cour n’aperçoit aucune raison de s’écarter de cette conclusion dans le cadre de la présente affaire. Il est vrai que le droit au respect des biens du HEP ne faisait aucunement l’objet du « litige » débattu devant la Cour constitutionnelle, ni d’une autre procédure, le transfert des biens du HEP au Trésor public étant la conséquence directe de la dissolution du parti politique telle que prévue par la loi.
Partant, l’article 6 de la Convention ne s’applique pas au cas d’espèce.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
69. Les requérants réclament 500 000 francs français (FRF) pour chacun d’entre eux au titre du dommage matériel. Ils font valoir qu’ils ont été également condamnés au pénal, ultérieurement à la dissolution du HEP, pour les discours qu’ils avaient prononcés dans le cadre de leurs activités au sein de ce parti, et que, de ce fait, ils n’ont pu exercer, durant leur détention, leur profession d’avocat.
70. Le Gouvernement s’élève contre cette prétention.
71. La Cour relève que le lien de causalité ne se trouve pas suffisamment établi entre le fait jugé constitutif d’une violation (paragraphe 61 ci-dessus) et la perte de revenus professionnels alléguée par les requérants. Partant, elle ne peut y faire droit.
B. Dommage moral
72. Les requérants réclament à ce titre 250 000 FRF chacun.
73. Le Gouvernement combat également cette revendication.
74. La Cour note que le HEP a été actif pendant trois ans avant d’être ensuite dissous par la Cour constitutionnelle. Il en résulte un préjudice moral certain dans le chef de M. Yazar, de M. Karataş et de M. Aksoy. Statuant en équité, la Cour accorde 10 000 euros (EUR) à chacun d’entre eux.
C. Frais et dépens
75. Les requérants demandent 229 700 FRF pour frais et dépens, soit 144 700 FRF pour les honoraires d’avocat occasionnés par leur représentation devant la Cour constitutionnelle et à Strasbourg, et 85 000 FRF pour les frais de traduction, de communication et de voyage liés à cette représentation.
76. Le Gouvernement trouve ces sommes excessives : il soutient en particulier que les justificatifs fournis par les requérants se rapportent à des dépenses qui n’ont pas de rapport avec le traitement de la présente affaire, et que les sommes relatives aux honoraires sont abstraites.
77. La Cour rappelle qu’elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci une violation constatée par la Cour (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 45, CEDH 1999-I).
78. En l’occurrence, les frais afférents à la défense du HEP devant la Cour constitutionnelle ont été engagés pour prévenir la dissolution du parti, laquelle a fait l’objet du constat de violation ci-dessus (paragraphe 55). En conséquence, ils entrent en ligne de compte pour le calcul de la satisfaction équitable.
79. La Cour constate toutefois que les requérants ne fournissent pas tous les détails du nombre d’heures de travail dont leurs avocats réclament le paiement. En vertu de l’article 60 § 2 du règlement, elle ne saurait donc accueillir cette demande telle quelle. Statuant en équité, elle alloue aux requérants une somme globale de 10 000 EUR au titre des frais et dépens.
D. Intérêts moratoires
80. Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement concernant l’applicabilité de l’article 11de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu de rechercher s’il y a eu violation des articles 9, 10 et 14 de la Convention ;
4. Dit que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas en l’espèce ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes, à majorer de tout montant pouvant être dû au titre de taxe, droits de timbre et charges fiscales exigibles au moment du versement et à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 10 000 EUR (dix mille euros) à chacun des trois requérants, M. Yazar, M. Karataş et M. Aksoy, pour préjudice moral, soit au total 30 000 EUR (trente mille euros),
ii. 10 000 EUR (dix mille euros) aux requérants réunis, pour frais et dépens ;
b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 avril 2002, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Michael O’Boyle Matti Pellonpää
Greffier Président

TEXTE NON REVU PAR L’UNITÉ DES PUBLICATIONS, CAR NON PUBLIÉ DANS LE RECUEIL (décision de Civan Turmangil, 16 mai 2003)
ANNEXE
Extraits de l’arrêt
de la Cour constitutionnelle turque
rendu le 14 juillet 1993

(Traduction)
Appréciation des preuves
De l’examen du Réquisitoire du Procureur Général de la République près la Cour de Cassation et de l’analyse du document quant au fond, qui est de la même inspiration, il ressort que la demande de dissolution relative au Parti du Travail du Peuple, Partie Défenderesse, repose sur deux raisons essentielles.
Celles-ci peuvent être résumées comme suit :
– Se baser sur un principe racial, servir la cause de la modification de la nature unitaire de l’Etat, invoquer l’existence des minorités en Turquie, envisager de porter « atteinte à l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple », en y créant des minorités, en développant et en diffusant d’autres langues et cultures que la langue et culture turques et agir dans cette voie,
– Devenir le foyer pour d’actes politiques illégaux.
Le parti politique, Partie Défenderesse, a à son tour argué que ses activités ne pouvaient faire l’objet des accusations avancées et que ses actes ne pouvaient être considérés comme cause de dissolution.
a) Demande de dissolution pour avoir été le foyer d’actes illégaux
L’article 103 – modifié par la loi no 3270 – de la loi no 2820, sur les partis politiques stipule que: « Au cas où il serait établi qu’un parti politique était devenu un foyer d’actes s’inscrivant en contradiction avec les Articles 77, 78 et 97 de cette loi, ledit parti serait dissout par la Cour Constitutionnelle.
Un parti politique devient le foyer des actes mentionnés au paragraphe ci-dessus, suite à la preuve en application du paragraphe (d) de l’Article 101 – que les membres de ce parti se sont massivement livrés auxdits actes, et que ces actes ont été tacitement ou expressément approuvés par le grand congrès, le conseil d’administration, le comité central, le conseil général du groupe parlementaire de la Grande Assemblée Nationale de Turquie ou par le conseil d’administration dudit groupe de ce parti politique »
La partie appropriée de l’alinéa d) de l’Article 101 – modifié par la loi no 3270 – de la loi mentionnée à l’alinéa deux de l’Article, stipule que :
« d) Dans le cas où les actes s’inscrivant en contradiction avec les dispositions reprises aux articles de la 4e partie sont commis par des organes, comités ou autorités autres que ceux énumérés à l’alinéa b), et où deux ans ne se sont pas encore écoulés depuis la date à laquelle lesdits actes ont été commis, il incombe au Procureur Général de la République de demander, par écrit, à ce parti de suspendre l’organe, le comité ou l’autorité en question. Au cas où les membres du parti sont condamnés pour des actes et propos s’inscrivant en contradiction avec les dispositions reprises aux articles de la 4e partie, il incombe au Procureur Général de la République de demander à ce parti la destitution définitive desdits membres.
Au cas où le parti politique ne se conformait pas à ces exigences, et ce, dans un délai de trente jours à compter de la date de la signification, le Procureur Général de la République serait habilité à engager une action auprès de la Cour Constitutionnelle en vue d’obtenir la dissolution dudit parti politique »
Bien qu’en vertu de la disposition prévue par la loi no 2820, il soit possible d’engager directement une action en vue de la dissolution d’un parti politique lorsqu’il peut être prouvé que des organes et personnes stipulés par l’alinéa b) de l’Article 101 ont posé des actes s’inscrivant en contradiction avec les interdictions énumérées dans la Quatrième Partie, l’engagement d’une action en vue de la dissolution du parti pour cause d’accomplissement des mêmes actes interdits par les organes, les autorités, les comités ou encore les membres du parti, cités à l’alinéa d), est soumis à certaines conditions. Ces conditions sont la condamnation des membres du parti, de la signification mentionnée dans le texte de la loi, et l’exclusion qui en découle.
Il est observé que le Procureur Général de la République n’a pas tenu compte de « l’application de l’alinéa (d) de l’Article 101 », qui en est le principal élément. Il n’a donc pas observé les conditions d’application, pour les membres du parti, d’une condamnation pour des propos tenus par eux s’inscrivant en contradiction avec les dispositions énumérées dans la Quatrième Partie, pas plus qu’il n’a tenu compte de la signification et de l’exclusion qui en découlent. Il s’est contenté de souligner l’existence d’actions publiques en cours, entamées contre les membres du parti, pour réclamer la dissolution du parti politique, Partie Défenderesse.
Ainsi, il est clair que la condition de dissolution décrite dans l’article 103 de la loi portant réglementation des partis politiques n’a pas été observée. En conséquence, la demande de dissolution doit être rejetée.
b) Demande de dissolution pour « atteinte à l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple », et agissements dans ce but
Il importe d’éclaircir certaines notions relatives à ce sujet, et en premier lieu celles traitant de l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple et du nationalisme d’Atatürk, afin de déterminer si oui ou non, les propos repris dans l’Acte d’Accusation, tenus par Fehmi IŞIKLAR et Feridun YAZAR, anciens Présidents du Parti du Travail du Peuple, et par İbrahim AKSOY, Secrétaire Général et Ahmet KARATAŞ, ancien Secrétaire Général qui, pendant un certain temps a assuré la vice- présidence, ainsi que les communiqués de presse et déclarations qu’ils ont signées, constituent des contradictions aux interdictions mentionnées dans la Quatrième Partie de la loi no 2820.
Le principe de « l’intégrité » est mentionné pour la première fois à l’Article Premier de la Charte nationale en ces termes: « L’ensemble des territoires à majorité musulmane constituent une entité ne pouvant souffrir aucune sécession pour quelque raison – réelle ou juridique – que ce soit . »
Lors des négociations qui ont mené au Traité de Lausanne, İsmet Ýnönü a clarifié le principe de l’intégrité en ces termes: « Le Gouvernement de la Grande Assemblée nationale accorde la plus grande importance à l’intégrité et à l’indivisibilité de la Patrie turque, et croit en la nécessité du partage à parts égales des droits et des devoirs ainsi qu’en la nécessité du partage à parts égales des profits et des obligations. »
Le principe de l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple est souligné dans plusieurs articles de la Constitution; la sauvegarde de l’indépendance et de l’intégrité de la Nation turque, ainsi que l’indivisibilité du pays y étant présentés parmi les principaux objectifs et devoirs de l’Etat (Article 5). Il y est également reconnu qu’à cette fin, les droits fondamentaux et libertés fondamentales pourraient être restreints (Articles 13 et 14). Dans le même but, des restrictions particulières ont été apportées à la liberté de presse et d’association (Articles 28, 30, 33), et les mesures nécessaires en vue d’assurer l’éducation des jeunes dans cette optique ont été définies comme un devoir particulier de l’Etat (Article 58). Il a été stipulé que le pouvoir de mener et publier des recherches scientifiques ne peut être utilisé ni à l’encontre de l’existence et de l’indépendance de l’Etat, ni à l’encontre de l’intégrité et de l’indivisibilité de la Nation (Article 130). Il a été convenu que l’Etat pourrait intervenir à cette fin auprès des organismes professionnels à caractère public (Article 135). La création d’instances spéciales a été prévue pour les crimes contre l’entité et l’intégrité (Article 143) de l’Etat. Le même sujet a constitué l’un des éléments fondamentaux du serment des Membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie et de celui du Président de la République (Article 81 et 103). Le principe de « l’intégrité indivisible » a également été mentionné parmi les principes fondamentaux auxquels les partis politiques doivent se conformer (Article 69).
L’alinéa a) de l’article 78 de la loi no 2820 stipule clairement qu’outre l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple, les partis politiques ne pourront avoir pour but de modifier le principe selon lequel la langue officielle de l’Etat est le turc.
En effet, le turc est la langue la plus répandue parmi les individus d’origines et ascendances diverses, qui vivent ensemble et unis sur le territoire depuis mille ans. En plus d’être la langue des affaires officielles, le turc s’est imposé comme la langue commune de la famille, de la vie quotidienne et de l’enseignement. Seule une minorité de gens ne connaissent et n’utilisent pas le turc.
Il n’est en outre nullement interdit de faire usage de sa langue maternelle dans des milieux privés, ouverts ou clos, à la maison et au travail, dans la presse et dans le domaine des arts. Toute affirmation contraire ne reflète pas la vérité.
Il n’est pas possible que les langues locales, utilisées par certains groupes ethniques représentés au sein de l’entité nationale, soient reconnues comme langue commune de communication et d’éducation contemporaines. Il n’y a pas de langue kurde originelle.
Dans le troisième paragraphe de l’Article 26 de la Constitution, il est stipulé que « Aucune langue interdite par la Loi ne peut être utilisée pour la déclaration et la diffusion des idées ». En Turquie, il n’existe plus de langue dont l’usage soit interdit par la loi, et dans la pratique quotidienne, bon nombre de langues sont utilisées. Le dernier paragraphe de l’Article 42 stipule, sous réserve de conventions internationales contraires, que dans les établissements scolaires, aucune autre langue que le turc ne peut être enseignée aux citoyens turcs comme langue maternelle. Cette nécessité constitutionnelle doit être rattachée à l’unité de l’enseignement et de l’éducation, à l’obligation de l’enseignement primaire et à l’importance de l’intégrité et de la solidarité nationales ainsi obtenues.
Une autre disposition relative à la langue est le principe, repris au premier paragraphe de l’Article 14 de la Constitution, qui stipule qu’« Aucun droit ou liberté ne peut servir une discrimination linguistique ».
Les règles relatives à l’intégrité de l’Etat et sa langue ne sont pas sans sanction. Conformément à l’Article 4 de la Constitution, l’Article 3 de cette même Constitution qui énumère les principes fondamentaux en cette matière « ne peut être amendé et son amendement ne peut être proposé ». Par ailleurs, l’Article 69 de la Constitution prévoit la dissolution définitive des partis violant l’Article 14 qui interdit la création d’Etat en contradiction avec lesdites restrictions.
(…)
Les nations acquièrent leur existence au fil des évolutions et réalités historiques. La naissance, le développement et le renforcement des sentiments de culture commune, de solidarité sociale et de vie commune, se produisent au cours de l’histoire. La patrie du peuple qui, uni dans une structure nationale, a mené la Guerre de l’Indépendance est la Patrie turque, sa Nation est la Nation turque et son Etat, l’Etat turc. Le monde entier a utilisé le nom « Turquie » pour l’Anatolie, et ce dès le 11e siècle, et a appelé « Turcs » ses habitants. Ce fait ne signifie pas la non-reconnaissance des différents groupes ethniques faisant partie de l’entité nationale.
L’histoire des individus qui constituent la Nation turque, vivent ensemble depuis des millénaires, sont unis et partagent la même culture, la même morale et la même religion, est commune. Toutes les générations précédentes ayant vécu dans le pays doivent être considérées avec les générations futures qui, sans nul doute, vont sauvegarder l’intégrité et l’honneur de la patrie et de la nation. L’identité commune et la culture de la Nation turque puisant leurs fondements dans les réalités historiques, elles ne peuvent être laissées sans protection comme c’est le cas pour l’identité et la culture de toute nation. Lutter contre toutes les contradictions hostiles à l’indépendance de l’Etat turc, à son identité, à son caractère, et à son intégrité nationale, sont un devoir et un droit fondamentaux, adoptés par des documents juridiques internationaux.
Ces dernières années, la République de Turquie se trouve sous la menace sécessionniste du terrorisme armé, soutenu par l’extérieur. Les actes du Parti du Travail du Peuple, qui font l’objet de la présente action, ainsi que les véritables objectifs et thèses des terroristes, sont présentés différemment. Les tâches destructrices et provocatrices visant à créer un sentiment de minorité et de discrimination au sein d’une partie des citoyens qui bénéficient de droits égaux et font partie de la Nation turque, en défendant des changements irréalisables et par la renonciation, par la République de Turquie, aux principes d’Etat Unitaire, ne peuvent être considérées comme étant une nécessité de la démocratie et de l’époque. En outre, il est clair que les citoyens que l’on essaie d’intégrer sous le toit national, comme s’ils étaient une race et une nation différente, s’approprient l’identité commune de la Nation turque, de façon absolue et consciencieuse.
L’Union nationale entre les citoyens de toutes les régions du pays qui, en plus d’avoir, depuis des siècles, une histoire et une morale commune, ont participé ensemble à la Guerre d’Indépendance, faisant face à toutes les activités destructrices et sécessionnistes et aboutissant à la construction de la République, a été scellée pour aboutir à l’unité politique et sociale de la Nation turque.
Les citoyens de la République de Turquie sont les membres de la Nation turque unie, possédant les mêmes valeurs historiques, la même culture et jouissant de la même identité nationale. Cette nation, qui est la fondatrice, la dirigeante et la protectrice de l’Etat de la République de Turquie, agit avec sensibilité et scrupule, et a pleinement conscience qu’une sécession ne lui serait pas bénéfique.
L’unité de la nation et du pays sont les principaux éléments de l’indivisibilité de l’Etat, tant dans la Constitution que dans la loi portant réglementation des partis politiques. Que les activités visent l’unité territoriale ou nationale, elles constituent un danger à l’encontre de l’intégrité indivisible de l’Etat. Il ne fait aucun doute que viser l’intégrité de la Patrie mettrait en péril l’entité nationale et que viser l’intégrité nationale mettrait en péril l’entité de la Patrie. Le but de la Constitution et de la loi est de préserver ces valeurs, de façon absolue et sans concession aucune.
La notion de « Nation » traduit la structure sociale de la cohabitation la plus élaborée que l’homme ait atteint au fil de son processus de développement. Cette structure, qui est parfois représentée par les termes de « population » ou « peuple », désigne un niveau de développement, une structure d’individus conscients, ayant de la personnalité. Quant au « nationalisme », c’est la notion culturelle et politique la plus active de notre époque, basée sur une grande réalité sociale et l’idée de la « nation ». Le nationalisme est l’un des principes fondamentaux et primordiaux de la République de Turquie et de la Révolution turque. Les notions de « nation » et de « nationalisme » ont été, tout au long de la période républicaine, interprétées par Atatürk, qui a assuré le passage de la théocratie à la démocratie et, ensuite, par les générations qui ont dirigé la République sur la base des principes établis par lui, et ont ainsi trouvé leur place dans les Constitutions de 1924, 1961, 1962.
La Constitution de 1982 met également l’accent sur le nationalisme d’Atatürk, en mentionnant « la notion de nationalisme définie par Atatürk » dans son introduction, « le nationalisme d’Atatürk » à l’Article 2, « les principes d’Atatürk » à l’Article 42 et « la pensée d’Atatürk » à l’Article 124. Le nationalisme d’Atatürk n’est pas une notion séparatiste et raciste, mais un fait contemporain comprenant la volonté de vivre ensemble, l’unité sincère, et l’égalité indiscutable de la part de l’Etat, et ce, quelle que soit l’origine ethnique. Cette notion, excluant la discrimination, prévoit l’union dans la structure d’une « Nation » et empêche les identités d’être reconnues officiellement ce qui conduirait au séparatisme. Une action ou une provocation visant la rupture des liens juridiques que les membres des sociétés ont établis entre eux en plus de l’unité linguistique et religieuse n’est conforme ni aux réalités sociales, ni à la Constitution, ni à la législation. Les citoyens d’origine kurde, ainsi que les « Turcs » appartenant à diverses tribus et ceux ayant d’autres appartenances, figurent sans discrimination au sein de la Nation turque. La notion de « Nation Unique » – qui est l’élément principal de l’Etat – se trouve ainsi sauvegardée. La prétention d’une interdiction relative à la révélation de l’origine est également contraire à la vérité.
Une nation est une société qui a franchi certaines phases historiques et sociologiques et a acquis certaines qualités. La Nation turque se fonde sur la notion de « patrie » dont les frontières ont été tracées au lendemain de la victoire de la Guerre d’Indépendance. La nation repose sur une unité de culture et d’idéaux rattachée à un but et une volonté communs, tissés au fil du temps par des personnes vivant au sein d’une même patrie. La notion de « Nation » est fort différente de celle de communautés aux cadres restreints, n’ayant d’autres liens sociaux que la religion, comme c’est le cas des collectivités religieuses. La nation est un phénomène de cohabitation qui résulte du développement social et historique et non pas une notion restreinte se basant sur des critères raciaux, anthropologiques et philologiques. Elle ne correspond pas non plus à la notion de peuplade, qui est une structure sociologique formée par des groupes familiaux et linguistiques locaux et nomades qui n’ont pas réussi à accéder à une conscience historique commune.
Dans le cadre des principes énumérés ci-dessus, les notions de « Nation turque » et de « Nationalisme d’Atatürk » engendrent les vérités historiques et sociales suivantes :
Le pays dont les frontières sont celles de la « Charte nationale » et sur lesquelles est fondée la République de Turquie, a créé une patrie et une nation unissant les personnes – d’origines diverses – qui y vivent, partagent un passé, une histoire, une morale et un droit communs, acquis au fil d’un développement historique de plus de mille ans, et bénéficient des mêmes droits.
Avec l’immigration turque qui s’est intensifiée au dixième siècle, les habitants de l’Anatolie ont, dans un premier temps, vécu ensemble sous le toit politique de divers Etats. Puis, avec la fondation de l’Empire Ottoman, une vaste union a été créée qui s’étendait jusqu’aux Balkans, au Caucase et aux pays arabes. Plus tard, l’Empire Ottoman s’est désintégré, comme les autres empires, pour se limiter à l’Anatolie et la Thrace. La souveraineté politique et la longue cohabitation avec les peuples arabes, des Balkans et du Caucase ont uni et scellé la culture anatolienne à d’autres cultures et populations. Bien que, de nos jours, les habitants de République de Turquie soient de diverses origines, ils ont néanmoins, de par leur culture commune, établi une structure commune. Dans chaque parcelle de territoire, quelle que soit leur origine, tous les citoyens participent à la langue et à la culture. C’est la raison pour laquelle le développement en Turquie des idées de minorité ou de majorité se basant sur la discrimination ethnique est dépourvu de tout fondement historique et scientifique. Chaque parcelle du pays appartient à chaque citoyen. A la veille de la Guerre d’Indépendance, l’Anatolie était partiellement occupée, toutes ses ressources et tous ses moyens étaient confisqués. Dans des conditions aussi défavorables, alors que des activités étaient massivement entreprises afin d’arracher une partie du territoire de l’Anatolie, Atatürk – qui a mis pied à Samsun le 19 mai 1919 spécifiait dans son télégramme du 18.6.1919 à Cafer Tayyar Pacha, Général en Chef du 1er Corps d’Armée, que :
« Le peuple de toute l’Anatolie est uni corps et âme afin de sauver l’indépendance nationale ».
Au cours de cette sinistre période de l’histoire, les habitants d’Anatolie avaient su s’unir de leur propre gré et en toute liberté, au sein d’une culture commune, créée à travers les âges, et former la nation turque, sans se laisser entraîner par des soutiens et propagandes sécessionnistes. Ce phénomène constitue aujourd’hui une sorte de serment national et un consensus social auxquels la Nation tout entière se sent attachée. Cette solidarité, cette union et cette formation historiques, qui reconnaissent l’égalité au sein des organes législatif, exécutif et juridique, aux fonctions directoires, à l’élection du domicile, dans la vie professionnelle, pour les droits et libertés fondamentaux ont réussi à conduire la Guerre de l’Indépendance à la victoire et à fonder la République de Turquie, une entité indivisible avec son territoire et son peuple.
Il n’est pas question de discrimination politique ou juridique parmi les citoyens de la République de Turquie, et ce pour quelque raison que ce soit. Les mesures individuelles prises à tous les niveaux de la société afin de sauvegarder cet héritage historique et sacré visent la paix et le bien-être publics, l’existence et la sûreté de l’Etat de la République de Turquie. Quelle que soit son origine, chaque citoyen faisant partie de la Nation turque, a d’ailleurs toujours pu exercer le métier qu’il désirait, accéder à la vie qu’il souhaitait, s’établir, étudier, se marier, s’épanouir, avancer et profiter de la langue et de la culture turques et y contribuer dans chaque province, dans chaque ville, dans chaque village sans aucune discrimination. Ce phénomène historique qui se traduit par « l’intégrité indivisible de la patrie et du peuple », a trouvé sa place dans toutes les Constitutions, depuis la fondation de la République, comme étant une règle fondamentale à laquelle il n’est possible ni de renoncer ni de concéder. Au regard de la réalité de la « Nation turque » qui se base sur cette unité établie au fil du long processus historique et qui privilégie les droits de l’homme, il n’est pas possible de considérer que les comportements susceptibles d’aboutir à la séparation, à la sécession et finalement à l’anéantissement de la Nation turque s’inscrivent dans ce cadre.
En Turquie, la vie équilibrée et cohérente de la Nation turque, ainsi que sa tolérance, sa philanthropie et sa capacité d’appréciation des mérites ont su créer une unité nationale juste. L’unité nationale se fonde sur « le Nationalisme d’Atatürk » qui repose sur la culture commune, l’esprit par son principe de laïcisme, la science, le bon sens et la justice. Ce principe, qui figure dans la Constitution, engendre une notion de nationalisme qui unit et fusionne sous la dénomination officielle de « Turc » tous ceux qui sont liés à l’Etat Turc par le lien de la citoyenneté. L’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple est une des qualités les plus évidentes de cette notion contemporaine de nationalisme.
Ainsi, comme il est stipulé dans la résolution du 20.7.1971 de la Cour Constitutionnelle relative à l’affaire no 1971/3 et la décision no 1971/3,
Le principe de « l’indivisibilité de l’Etat turc avec son territoire et son peuple », qui est un principe sur lequel les Constitutions de 1921 de 1961 insistent, a, dans sa version adoptée par les Congrès d’Erzurum et de Sivas, établi avec certitude que les personnes qui vivent unies dans le territoire délimité par la Charte nationale forment effectivement une entité indissociable. Il n’a jamais été fait allusion à un peuple kurde au sein de cette unité, pas plus que lors des entretiens et des résolutions du Traité de Paix de Lausanne. Le chapitre « Kurde » n’a pas été mentionné parmi les minorités vivant à l’intérieur des frontières établies par la Charte nationale.
Ceci est non seulement l’expression d’un phénomène, mais également d’une réalité. Nous retrouvons cette réalité dans son expression la plus contemporaine dans la conception de nation d’Atatürk. Dans les notes manuscrites rédigées par Atatürk, il est mentionné que « Au sein de la Nation turque d’aujourd’hui se trouvent nos compatriotes et nos concitoyens qui, dans leur communauté sociale et politique, ont été transformés en objet de propagande de l’idée d’être Kurde, Circassien, et même Laze ou Bosniaque. Toutefois, ces fausses orientations – qui sont le fruit des périodes passées de despotisme – n’ont produit sur les membres de la nation d’autres réactions que l’indignation et la condamnation. Car les membres de cette nation partagent le même passé, la même histoire, la même morale et les mêmes droits que la communauté turque tout entière. » Les manuscrits décrivent la « Nation » en ces termes : « Le peuple de Turquie qui a fondé la République de Turquie se nomme la Nation turque ».
Dans la résolution du 27.11.1980 (affaire no 1979/31 et décision no 980/59), il est souligné que : « la Constitution adopte une notion unificatrice de nationalisme considérant comme « turque « toute personne liée à l’Etat turc par le lien de la citoyenneté, rejetant les convictions visant à l’union autour de la religion ou la secte ou encore le racisme ou la tyrannie »
La République de Turquie a accordé une grande importance au nationalisme et cette théorie a trouvé sa place dans les Constitutions comme étant un principe fondamental. Le nationalisme d’Atatürk est un principe fondamental de sauvegarde de l’intégrité de la nation et du pays. La République de Turquie est sincèrement attachée au nationalisme d’Atatürk. Le nationalisme d’Atatürk, reflétant la conception contemporaine par son contexte égalitaire et unificateur, est l’assurance de la solidarité sociale. Le nationalisme d’Atatürk a été adopté comme étant une réalité vitale et scientifique. Ce principe historique est en même temps un mode de vie et une conception servant à sauvegarder et à honorer l’existence nationale. Il est humain, contemporain et pacifiste. Il regroupe la fraternité, l’amour, la solidarité ainsi que les valeurs universelles contemporaines.
L’alinéa a) de l’Article 78 de la loi no 2820 prévoit que les partis politiques ne peuvent avoir pour but l’amendement du principe relatif à la langue et à l’intégrité de l’Etat que régit l’Article 3 de la Constitution. L’alinéa a) de l’Article 81 de la même loi se soucie du partage, par les partis politiques, de la sensibilité relative à la non création de minorités, et stipule, dans le but de préserver la structure de l’Etat, l’intégrité de la nation et du pays, que les partis politiques ne peuvent prétendre à l’existence de minorités linguistiques. L’alinéa b) de la même loi stipule, quant à lui, que les partis politiques ne peuvent avoir pour but la dégradation de l’unité nationale par la création de minorités par voie de protection, développement ou diffusion d’autres langues et cultures que la langue et la culture turques. Par l’utilisation du terme « créer », ces règles visent l’empêchement des efforts de formations artificielles.
L’Article 81 stipule dans ses motifs que :
« Dans notre pays, il n’existe pas de minorités en dehors de celles reconnues par le Traité de Lausanne. Le fait que, dans un pays quelconque, d’autres langues que la langue officielle soient connues et localement parlées ne crée pas pour autant de minorités. Il est tout à fait impossible de parler de minorité au sujet des enfants d’une nation qui bénéficient de tous les droits dans tous les domaines tels que les domaines politiques, sociaux, économiques et culturels et se partagent les obligations de façon égale. »
Dans l’alinéa a) de cet article, il est stipulé que les partis politiques ne peuvent arguer de l’existence de minorités nationales ou de minorités fondées sur la distinction de religion ou de secte, de race ou de langue. Les minorités reconnues par le Traité de Lausanne font, bien entendu, exception à cette règle. Ce point est d’ailleurs mentionné dans le préambule. Il est naturel que, dans la presque totalité des pays, il y ait des différentes communautés de langue, de religion et de sectes, surtout lorsqu’il s’agit de pays d’une certaine dimension. Cette diversité peut, dans certains pays, atteindre des proportions considérables. La reconnaissance « pour chacune d’elles – du statut de minorité n’est pas compatible avec la notion d’unité nationale et territoriale. Par ailleurs, les efforts sécessionnistes qui se développent par des demandes de « reconnaissance de l’identité culturelle » qui, au départ peuvent sembler être des revendications innocentes, se révèlent à la longue être la manifestation de penchants visant la création de minorités et de rupture avec l’entité. C’est pourquoi le législateur a accordé une importance toute particulière à ce sujet.
En effet, la Turquie ne compte pas de « minorité » ou « minorité nationale » en dehors de celles, citées dans le « Traité de Paix de Lausanne » et le « Traité d’Amitié entre la Turquie et la Bulgarie » du 18 Octobre 1925. Il n’a pas été interdit aux citoyens d’origine kurde, tout comme aux citoyens d’autres origines, d’exprimer leur identité, et il leur a été expliqué dans le cadre de l’intégrité de l’Etat, qu’ils ne constituaient pas une minorité ou une nation à part et qu’il ne pouvaient être considérés en dehors de la Nation turque. En vertu du Traité de Lausanne, seuls les non musulmans sont reconnus comme minorités. Les non musulmans jouissent des droits civils et politiques dont bénéficient les musulmans, et il y est précisé que, compte non tenu de toute discrimination religieuse, tous étaient égaux devant la loi. Plusieurs communautés ethniques et religieuses peuvent vivre dans un seul et même pays. La répartition proportionnelle de leurs populations peut également être des plus variées. Ces diversités ne peuvent appuyer une quelconque revendication de droit ou de reconnaissance comme minorité. La Turquie ne compte pas de communauté originelle du point de vue de sa structure sociologique. Les points communs sont nombreux et les différences sont rares. Il n’existe pas de région ni de ville aux frontières administratives et naturelles définies où n’habitent que des Kurdes et qui puisse être considérée comme étant leur terre. Il s’agit d’un pays où l’accès s’est fait en commun, qui a été délivré au terme de batailles livrées ensemble, où les gens vivent ensemble et dans lequel l’Etat est indiscutablement et intégralement souverain. Le tissu urbain ne tient pas compte des différences ethniques. Partout dans le pays, des citoyens d’origines variées vivent en proportions diverses. Aucune donnée ni spécificité n’existe permettant scientifiquement de parler de minorité. Les procès verbaux de la Conférence de Paix de Lausanne soulignent à de multiples reprises et sans nul doute ni hésitation, que le statut de minorité n’est pas reconnu aux groupes divers de la communauté musulmane.
Dans un premier temps, la sous-commission a insisté pour que les minorités ethniques, autrement dit les minorités musulmanes telles que les Kurdes, les Arabes et les Circassiens, puissent bénéficier des mesures de protection figurant au projet, au même titre que les minorités non musulmanes. Le comité des représentants turcs a répondu que ces minorités n’avaient pas besoin de protection, et qu’ils étaient parfaitement satisfaits de se trouver sous administration turque. Suite à ces propos convaincants, la sous-commission a accepté de limiter les mesures de protection aux seules minorités non musulmanes.
(…)
Ces idées de la délégation turque ont été adoptées par la Conférence et les termes de « religion ou langue », « minorités de souche, de langue ou de religion » figurant aux articles 4, 6, 7 et 8 du projet daté du 15 décembre 1922, « Soumis aux Comité des Représentants des Alliés au Sujet de la Protection des Minorités » ont été remplacés par les termes « minorités non musulmanes ». Il a ainsi été adopté par le Traité de paix de Lausanne, qu’en Turquie, l’usage d’une langue différente ou le facteur de souche ne constituait pas un critère justifiant qu’un groupe puisse être considéré comme une minorité. Lors de la même Conférence, les efforts déployés par Lord Curzon en particulier pour la création d’une minorité kurde ont été rejetés suite à la déclaration, par la délégation turque, du fait que : « Les Kurdes sont conscients que leur destinée est commune avec celle des Turcs et ne désirent pas bénéficier des droits de minorité ».
(…)
La reconnaissance d’un statut de minorité selon les diversités raciales et linguistiques n’est pas compatible avec les notions d’intégrité nationale et territoriale. Le peuple qui a créé la République de Turquie s’appelle la Nation turque. Il n’y a pas de ségrégation du type minorité ou majorité entre les groupes ethniques composant la Nation turque. Une notion de nationalisme unificateur a été adoptée, qui considère comme « turque » toute personne liée à l’Etat de la République de Turquie par les liens de citoyenneté. Le but de la reconnaissance comme * turque + de toute personne liée à l’Etat de la République de Turquie par des liens de citoyenneté, quel que soit le groupe dont elle fait partie, n’est pas de nier son identité ethnique mais bien d’empêcher que les groupes ethniques du pays (au sein de la structure sociale du pays vivent plusieurs groupes ethniques qui font tous partie de la majorité) dont l’Etat est mondialement appelé « l’Etat de la République de Turquie », la Nation, « la Nation turque » et le pays, « le pays turc », ne soient réduits en minorité et de réaliser l’égalité entre tous les citoyens.
Il n’a pas été interdit aux citoyens d’origine kurde – tout comme aux citoyens de toute autre origine – d’exprimer leur identité, mais il leur a toutefois été précisé qu’ils n’étaient ni une minorité, ni une nation à part, qu’il n’était pas concevable de les considérer en dehors de la Nation turque, qu’ils faisaient partie de l’entité de l’Etat. Les citoyens d’origine kurde ne répondent pas aux définitions sociologique et juridique d’une minorité. Il n’y a par ailleurs pas de règle qui les différencie des autres citoyens. Ils dépendent des mêmes règles que tous les autres citoyens de toute la Turquie. Les règles dont dépendent les minorités trouvent leurs sources dans les accords internationaux, aucune discrimination n’existe entre les citoyens d’origine kurde et les autres, qui jouissent de droits et libertés d’une façon illimitée. Il n’y a pas de peuple qui soit protégé ou qui soit dépourvu ou lésé. Ils peuvent choisir de devenir ouvrier, employeur, avocat, fonctionnaire, officier, magistrat, député, ministre ou encore président. Il s’agit d’une unité linguistique, religieuse et historique, à l’exception de quelques caractéristiques ethniques locales. Les mariages ont créé un mélange de sang. Les groupes cohabitent depuis de nombreuses années dans les mêmes régions. Il est insensé de tenter de transformer les libertés illimitées en libertés limitées et le fait d’être la nation même en fait d’être une minorité. Le but de cette manœuvre ne peut être autre que de réaliser une scission. Aucune précision n’est en outre apportée quant à savoir quels sont les droits démocratiques refusés et il est fait état, par des sous-entendus, de problèmes de la vie quotidienne dont se plaindrait chaque citoyen à tout moment, ainsi que de droits nationaux qui nécessiteraient d’être une nation à part. Cette situation montre que le problème n’a rien à voir avec les droits démocratiques.
Aucune légitimité ne peut être accordée à des buts pervers justifiés par les arguments des droits de l’homme et de liberté, s’appuyant sur des suppositions, commentaires et prétextes et se basant sur des éléments externes pour certaines raisons politiques. L’Etat est « UNIQUE », la Patrie est « ENTIERE », la Nation est « UNIE ». L’unité nationale s’obtient par l’union indissociable au sein de l’institution de la citoyenneté, des communautés ou des groupes qui ont créé l’Etat et constituent la nation, quelle que soit leur origine ethnique. Pas plus la Constitution que les lois ne comportent de résolution prévoyant une discrimination parmi les citoyens, pas plus qu’il n’existe de nouvelle thèse consistant à nier l’origine ethnique de quiconque. Les scissions ethniques ne se discutent pas au sein d’un Etat national et unitaire. Un Etat à part ne peut être souhaité par voie de nation à part, de façon dissimulée en transformant les réalités et en exploitant les non conformités, les contradictions, les injustices et les erreurs qui, après tout, peuvent être rencontrées partout et par tout le monde et auxquelles il peut être remédié et pour lesquelles des réparations peuvent être obtenues dans un Etat de droit. La République de Turquie est la source de conceptions et de valeurs indiscutables et de principes et propriétés qu’il n’y a pas lieu d’amender. De nos jours, des groupes ethniques différents s’unissent pour former des nations et des Etats, tout en gardant leur légitimité sur le plan international. Il n’y a pas de raison valable pour qu’il en soit autrement dans le cas de l’Etat de la République de Turquie. Diviser l’union nationale et octroyer un territoire aux ressortissants d’une race définie serait synonyme d’épuration ethnique, ce qui ne peut être compatible avec les valeurs humaines contemporaines. Chaque citoyen vivant dans le pays connaît les mêmes conditions. La citoyenneté est une notion qui surpasse les caractéristiques régionales et les différences et est un phénomène unificateur contemporain. Dans ce domaine, il n’y a pas lieu de considérer quelqu’un comme étant différent d’un autre, ni de croire qu’il y a des discriminations d’ordre religieux, culturel ou ethnique. Il est essentiel que les droits de l’homme s’appliquent de façon égale à tous les citoyens et non à une personne, à une classe, à une catégorie. Ce qui est important du point de vue politique, ce n’est pas tant la souche que l’appartenance à la même communauté. Si une souche revendique des droits spéciaux, en marge des droits de l’homme en ce qui concerne la citoyenneté, cela revient à dire qu’elle n’est pas seulement une souche dans l’entité nationale mais une communauté nationale distincte, ce qui est incompatible avec le principe de l’intégrité nationale.
Le principe de l’intégrité indivisible implique également la protection de l’indépendance de l’Etat et l’intégrité du pays et de la nation. Cette caractéristique historique de la République de Turquie, qui est un Etat unitaire depuis sa création, a été mentionnée dans les constitutions et a été protégée par de puissantes sanctions en vue d’en assurer la sauvegarde. Cette structure, qui fait l’objet d’un soin jaloux, est la raison d’être de la nation et ne peut être comparée avec les conditions en vigueur dans d’autres pays. Il n’est pas question de faire de concession sur ce principe fondamental. Un problème – en réalité inexistant – des droits de l’homme ne peut servir de prétexte pour arguer de l’existence de minorités et appuyer une tentative de briser l’Etat. Le système d’Etat fédératif n’a pas été retenu par la Constitution établie selon le principe de l’Etat unitaire. C’est la raison pour laquelle les partis politiques en Turquie ne peuvent plaider pour l’instauration d’un système fédéral.
Le principe de « l’intégrité indivisible » de la structure de l’Etat nécessite l’intégration de la souveraineté avec la structure d’un Etat unitaire composé d’une intégrité territoriale et d’une intégrité nationale. Le principe de l’Etat unitaire rend impossible la notion d’un Etat plurinational tout comme l’éventualité d’une structure fédérative. Dans le cas d’un Etat fédératif, il est question de souverainetés dont font usage des Etats fédéraux, alors que dans le cas d’un Etat unitaire, il ne saurait être question d’une multitude de souverainetés.
(…)
Quelles que soient ses convictions religieuses et ses origines ethniques, chaque citoyen se retrouve de façon absolument égale, dans la définition de « la Nation turque » de la Constitution. Cette définition n’interdit en aucune façon la manifestation et l’usage des propriétés relatives aux origines. Les thèses contraires se limitent à des qualifications artificielles de peuple et de nation et à des soutiens séparatistes et sécessionnistes. Dans ce contexte, blâmer l’Etat dont la sauvegarde et le renforcement de l’existence même figurent parmi les devoirs les plus naturels, et l’accuser d’oppression, de pressions, de mener une « sale guerre » pour avoir procédé à des efforts de maintien de l’ordre, de répression de la terreur, de protection contre tous les soulèvements destructifs et illégaux, est synonyme de plaidoirie en faveur de la terreur et du terrorisme. La démocratie ne peut être défendue en la supprimant et ne peut être utilisée contre elle-même en vue de sa destruction. Les droits démocratiques ne peuvent être utilisés pour servir le despotisme. La Constitution – qui est obligatoire pour tout le monde – l’est en premier lieu pour les partis politiques et les députés.
(…)
Le droit de l’Etat de préserver l’intégrité du pays et l’unité de la nation ne se limite pas à la seule existence de l’Etat, mais s’étend, dans des pays démocratiques, à la protection des droits et libertés de l’homme, surtout lorsqu’il est question d’une attitude digne d’un Etat de droit. La nécessité d’appliquer des sanctions aux partis politiques qui menacent la vie démocratique et se livrent à des actes susceptibles d’anéantir la démocratie et ayant justement cette fin pour objectif –, doit être considérée comme naturelle. Toute pensée contraire peut entraîner le désordre et mettre en lumière la contradiction qui existe à réaliser, sous le couvert d’un parti politique, des buts pervers autrement impossibles à réaliser. Le droit à l’autodéfense des systèmes démocratiques à l’encontre de propos et activités destructrices est repris à l’article 30 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Dans le cas des partis politiques et lorsqu’il s’agit de situations ne pouvant être arrêtées ou réparées, la seule sanction prévue est la « dissolution ».
En ce qui concerne l’évaluation, d’après ces explications, des propos des responsables du parti dont les noms et fonctions sont cités plus haut :
(…)
Dans ce qui vient d’être résumé, des déclarations et des actes verbaux visant à détruire l’Etat et à nuire à la démocratie tout en se servant d’elle ont été décelés. Les jeux de mots de la plaidoirie visant à camoufler les contradictions avec la loi et à échapper aux sanctions prévues pour ces contradictions ne suffisent pas à cacher la vérité. Les attitudes utilisées pour appuyer le terrorisme ont été clairement répétées. En résumé, il ressort clairement des propos et déclarations repris dans l’acte d’accusation que le but visé est d’attirer de la sympathie à l’organisme terroriste PKK, de lui obtenir du soutien et de le doter d’une identité politique. Les dirigeants de HEP ont montré, par leurs propos, déclarations et communiqués, que leur base était la même que celle du PKK. Par des propos soulignant le fait que la guerre menée contre le PKK causait la destruction du lien existant entre l’Etat et le peuple, que les forces de l’ordre attaquaient la population, qu’elles se livraient à des massacres, au génocide, que le véritable terroriste était l’Etat, et que l’Etat n’avait pas le droit de tirer sur eux avec les balles achetées avec l’argent des contributions, les mouvements terroristes ont essayé d’être présentés comme des mouvements populaires.
Au lieu d’appeler au respect de l’Etat, de la démocratie, du droit, de la fraternité et de la paix, c’est de la provocation qu’on a observé. La démocratie n’est pas l’instrument ni le cadre de l’absence de scrupule, pas plus que celui de la destruction ou du séparatisme artificiel. La paix mondiale tient à la sauvegarde de la paix nationale et à la structure démocratique. L’Etat contemporain de droit qui repose sur les droits et libertés de l’homme est l’appellation actuelle de la démocratie. Les accusations des efforts de sauvegarde de l’Etat et de la démocratie, d’être antidémocratiques, sont des arguments injustes émis par des personnes opposées à la démocratie. Diviser les citoyens égaux en tous points selon des critères racistes en « Turc – Kurde – Laze », passer ainsi aux actes dans la volonté de scinder la nation, niant la notion de « citoyenneté » et plaider ensuite qu’il s’agit là « d’une réalité sociologique et non de racisme » et parler de fraternité et d’intégrité, n’a rien de valable. Prétendre que les langues, le folklore et les cultures locales, assorties de leurs couleurs sociologiques et de leurs richesses spécifiques, et vénérées par toute la nation qui en est heureuse et fière, sont libres à condition de ne pas prendre position contre l’identité de la Nation turque, est une erreur de nature à saper l’unité nationale et ne correspond pas à la réalité.
Prétendre que le peuple kurde n’a pas le droit de vivre ni de faire valoir ses droits, qualifier la terreur de « combat pour l’indépendance », faire dévier les situations relatives à certains problèmes économiques et sociaux du pays sur le plan politique en les nommant « le problème kurde », réclamer une légitimité au droit à la terreur raciste en la qualifiant de « Parti kurde », discriminer et provoquer les personnes d’origine kurde en clamant « Vivra celui qui dira : Je suis Turc ! », chercher à détruire l’union nationale en arborant le principe de « la détermination de son avenir » comme s’il y avait une nation distincte, présenter l’Etat comme un « tyran violant », célébrer et saluer avec enthousiasme les festivités de Nevruz qui, ayant débuté par l’incitation des masses populaires au soulèvement, ont abouti à des décès, définir ces événements tragiques comme « le dynamisme du peuple kurde », créer suite au problème artificiel qu’est le « problème national kurde » de l’agitation dans le pays, insister sur les concepts irréels tels que « l’assimilation », « l’extinction », et « l’exclusion », parler de « l’égalité des Turcs et des Kurdes » pour faire croire que cette égalité fait défaut, réclamer à cette fin qu’une nouvelle Constitution transforme « la nation » en « les nations », sont des actes contradictoires avec la Constitution et la loi portant réglementation des partis politiques. Il en est de même de la volonté, en dépit de ce qu’affirme la Constitution, que d’autres langues et que l’enseignement en d’autres langues que la langue officielle soient reconnues, comme si les libertés de langue, de culte et de culture n’existaient pas. Les propos ne provoquant pas seulement les personnes d’origine Kurde mais également les autres, qui, quelle que soit leur origine, vivent en paix, sont causes de dissolution. La prétendue application aux Kurdes de « l’interdiction d’apprendre à lire et à écrire » n’est pas vraie. La répartition et la diffusion de ces rumeurs, le détournement du combat de l’Etat contre la terreur et sa définition comme « une guerre contre les Kurdes », l’accusation faite à l’Etat d’être l’ennemi du peuple, la scission du pays par un « Kurdistan », la tentative de la destruction des principes fondamentaux de la République, ne peuvent être perçus comme des déclarations d’opinions bien intentionnées à caractère politique, ou comme génératrices de solutions ou encore comme des propositions démocratiques. Les allégations relatives à « l’usage, par le gouvernement, d’armes contre le peuple Kurde » et au « massacre de la population civile » et les demandes de l’application des lois de la guerre de la Convention de Genève, sont des actes verbaux qui s’inscrivent en totale contradiction avec la plaidoirie, lui ôtant ainsi toute validité.
(…)
Bien que recherchant du soutien sous l’apparence d’une aspiration à la fraternité et à l’unité par l’évocation des droits de l’homme, des droits des ouvriers et des droits des autres groupes ethniques, le HEP a, en réalité, essayé d’engendrer parmi les citoyens, des sentiments de haine et d’hostilité sur fond de racisme, et cherché à scinder l’intégrité de la Nation turque en parties turque et kurde dans le but de fonder des Etats séparés. Il est clair que de telles activités visent à détruire l’intégrité nationale et territoriale.
Ainsi qu’il vient d’être exposé aux paragraphes ci-dessus, le HEP s’est livré à des efforts incompatibles avec les règles du deuxième paragraphe de l’article 11 et avec celles de l’article 17 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
(…)
Il convient de remarquer en particulier qu’en dépit de l’usage de moyens différents, les objectifs du HEP présentent des similitudes avec ceux des terroristes. Le HEP argue que sur le territoire de la République de Turquie vit un peuple kurde opprimé, dont la langue et la culture sont différentes, et qui a surtout « le droit à l’autodétermination ». Il se réfère pour ce faire aux propos d’Atatürk. Or, Atatürk a affirmé, dans ses propos, que la Guerre d’Indépendance était basée sur l’union totale de toute une nation et qu’il n’avait pas été question d’une quelconque formation ethnique. Le fait que, par moment, il ait été fait état des groupes ethniques composant la nation, ne peut signifier, comme le souligne le Parti du Travail du Peuple dans sa plaidoirie, qu’il envisageait de leur accorder des privilèges quelconques ou de les discriminer.
Un autre point qu’il importe de souligner ici est la prétention, lors des plaidoiries orales et écrites, du droit de la Nation kurde à l’autodétermination. Il convient de clarifier en priorité qu’il n’existe, en Turquie, qu’une seule nation : la Nation turque. Les citoyens d’origine kurde ont constitué une unité * nationale + avec les citoyens des autres origines ethniques. Une proposition sécessionniste soutenue par la terreur est maintenue à l’ordre du jour comme s’il existait une nation à part, un peuple à part ou une minorité. « L’autodétermination » n’est pas un concept nouveau. C’est une notion qui continue son évolution sur le plan de l’ordre juridique international. Par le Traité de Paix de Lausanne, la Nation turque a exclu ce sujet de son ordre du jour. Le droit de la Turquie de préserver son intégrité nationale et territoriale est un droit reconnu du point de vue du droit international, au même titre que du point de vue du Traité de Paix de Lausanne.
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Il ne convient pas, dans le but d’appuyer les tentatives de destruction de l’intégrité de l’Etat avec son territoire et son peuple, de présenter l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris qui n’autorise pas ce genre d’activités, ni de tenir compte des objectifs de ces documents ainsi que de la cohésion de leurs contenus.
Il en ressort clairement que « La Charte de Paris pour une nouvelle Europe » a dénoncé le racisme, l’animosité ethnique et le terrorisme, et qu’elle a considéré le devoir de protection et de sauvegarde contre les personnes, groupes et organismes ayant pour but de détruire l’intégrité nationale et l’ordre démocratique, tel un appel international. Il n’est pas possible de concevoir les activités visant la destruction de l’Etat comme une liberté dans le cadre des droits démocratiques. La démocratie est un système pluraliste et à participation aux règles et aux institutions, dans lequel les droits et libertés sont garantis et où le fonctionnement démocratique est ressenti dans tous les domaines. Elle s’oppose à toutes les formes d’oppression, d’injustice, d’exploitation et de désordre. Ses objectifs sont la paix sociale et le bien être. Toutes les revendications démocratiques doivent être faites par voie et moyens démocratiques. Les activités visant le soulèvement et l’aboutissement au résultat par l’usage des armes ainsi que la scission raciale, ne peuvent être considérées dans ce contexte. Il n’est pas possible de considérer que les provocations, les bagarres, le désordre, les coups et blessures, les assassinats, les incendies, la destruction, les menaces et les actions armées contre l’Etat, soient compatibles avec des revendications démocratiques. La suppression de la démocratie en son nom, les efforts de scission de la nation par des événements suivis avec peine, et les incidents de frontière soutenus par l’étranger, entraînent le pays vers sa désintégration. L’affirmation, par des arguments contraires à la vérité, de sujets accusateurs et agressifs, que les responsables du HEP répètent fréquemment dans un souci de provocation, est de nature à tolérer la terreur, à lui donner raison et à l’accélérer.
Dans une démocratie, la scission raciale ne peut être le support, le but et l’objectif d’un parti politique et d’un député. Vis-à-vis de la loi, il n’est pas possible qu’un parti politique servant d’instrument à la scission raciale puisse poursuivre son existence. Il est de son droit le plus naturel qu’un Etat défende son intégrité avec son territoire et son peuple, tout comme il lui faut assurer le maintien de l’ordre public et la sauvegarde des droits de l’homme, c’est là un devoir à ne pas négliger.
La diversité ethnique du pays et l’interdiction de l’usage des langues et cultures propres à celle-ci, n’est pas un autre sujet qu’il faut aborder ici. Nos citoyens d’origines diverses possèdent et développent leurs langues et cultures. Cette réalité est clairement perceptible au cours de la vie quotidienne où elle est respectée et occupe une place importante. Arguer qu’entre les membres d’une société qui vit ensemble depuis mille ans, dont l’histoire, la religion, les us et les coutumes sont les mêmes et dont les cultures sont indissociables et imprègnent la culture nationale, il existe des différences culturelles de nature à justifier une scission, nier et rejeter la culture nationale commune, n’est pas compatible avec la réalité. Entre les citoyens turcs d’origines kurde et les citoyens turcs d’autres origines, il n’existe aucune différence sur le plan de jouissance des droits fondamentaux et des libertés fondamentales. La citoyenneté turque est une institution qui prévient les séparations et uni tout le monde dans le cadre des droits de l’homme et des libertés humaines. « Les droits nationaux et culturels des Kurdes » sont des propos visant à créer une minorité et à déclencher des sécessions concrètes. Aucun empêchement n’existe à ce que les citoyens d’origine kurde pratiquent leur langue et appliquent leurs us et coutumes dans la vie privée. Il en découle que le but du parti, Partie Demanderesse, est de détruire l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple, et de réaliser des formations sur fond racial. La Constitution n’autorise pas de tels agissements. Il ne faut pas perdre de vue que le turc est la langue commune de communication, la langue de la culture et de l’enseignement en plus d’être la langue officielle entre les citoyens de différentes origines ethniques.
Comme il vient d’être exposé, ce n’est pas l’affirmation des différences qui est interdite en Turquie, mais le soutien en République de Turquie des minorités inexistantes, la tentative de création de minorités par la force et la volonté d’instaurer, sur cette base, un nouveau système étatique. Ceci n’a aucune utilité nationale ou individuelle. Les exigences ne sont pas des demandes de droit de citoyenneté s’appuyant sur les droits de l’homme. Même les droits culturels réclamés, sont avancés comme étant au-dessus des droits d’un groupe ethnique, comme étant le fondement de l’existence et de la liberté nationales. Or, du point de vue des droits et libertés, aucune discrimination n’existe entre les citoyens et il n’y a pas de droit ni de liberté qui soit accordé plus ou moins à tel ou tel autre citoyen.
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Le Conseil constitutionnel français a, par sa décision relative à l’annulation de la loi reconnaissant un statut spécial à la Corse, empêché l’amendement du concept de « Nation Française ». Elle a même rejeté la notion de « Nation Corse », élément complémentaire de la « Nation Française » en précisant que le terme correct était « Le Peuple Français, légalement indivisible ».
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Pour les preuves figurant aux alinéas VII. B. 3. a (ff) et (gg) de la décision, les conditions prévues à l’alinéa (d) de l’article 101 de la loi no 2820 n’ont pas été remplies.
Une partie de ces éléments de preuve est relative aux prétendus événements qui se seraient produits après l’ouverture de ce procès (3.7.1992). En vertu de l’article 98 de la loi no 2820, de l’article 33 de la loi no 2949 et de l’article 257 du Code de Procédure Pénale, la considération de ces prétendus événements comme preuves n’est pas possible dans le cadre de la présente action.
Les preuves mentionnées ont donc été prises en considération.
Il a ainsi été déterminé que les propos tenus lors de réunions par Fehmi Işiklar et Feridun Yazar, anciens présidents du Parti du travail du peuple, Ahmet Karataş, ancien vice-président et secrétaire général, İbrahim Aksoy, secrétaire général, les communiqués signés et certaines parties des articles parus dans la presse, étaient en contradiction avec la Constitution et la Loi portant réglementation des partis politiques, ainsi que le mentionnent l’acte d’accusation et les observations quant au fond établis par le parquet général de la République près la Cour de cassation.
Soit :
a) Qu’en République de Turquie, seule l’existence des Turcs était reconnue, que toutes les autres structures ethniques étaient niées; qu’« une assimilation autoritaire oppressante » était appliquée; que « l’idéologie officielle était en déconfiture », que « le dynamisme du peuple kurde était en ascension », qu’un « nouvel ordre devait être établi sur base de l’égalité du peuple turc et du peuple kurde », que « le peuple kurde livrait une bataille d’indépendance » ;
– Que les mesures appliquées à l’encontre de l’organisation terroriste donnaient lieu à une guerre internationale dont l’organisation terroriste PKK était une des parties belligérantes ;
– Que les terroristes faisant partie de cette organisation étaient des guérillas combattant pour la liberté et que, dans ce cas, les lois de guerre étaient d’application, mais que le Gouvernement turc refusait catégoriquement de se conformer à ces règles ;
– Que le but de l’armée et des forces de l’ordre de la République de Turquie n’était pas de combattre les guérillas kurdes mais d’anéantir physiquement et massivement les masses populaires kurdes qui leurs servent de source.
Il est observé que le thème de la scission était traité avec insistance, soutenant que le peuple kurde ne pouvait jouir d’aucun de ses droits nationaux découlant des accords internationaux, que le problème de l’Est était le problème national du peuple kurde et non un problème économique, présentant les groupes ethniques comme des nations, optant pour un modèle qui, commençant par ce qui est appelé une « Fédération Administrative », vise à déclencher un processus menant à l’autodétermination et à la séparation des Kurdes de l’unité nationale régie par la Constitution, et à aboutir ainsi à ladite autodétermination.
Or, ni les prétentions sur fond de racisme, susceptibles de supprimer l’intégrité de la « Nation turque » qui est l’expression d’une réalité historique, ni celles modifiant les propriétés de la citoyenneté turque, ne peuvent être avancées. Toute contradiction à ce qui vient d’être mentionné constituerait une violation de l’alinéa a) de l’article 78 de la Loi no 2820.
b) Ils ont affirmé que, pour la première fois, un parti était né, « dont ils pouvaient faire partie en toute quiétude et duquel ils pouvaient se revendiquer », que ce parti était également le parti des Kurdes si ces derniers étaient le peuple le plus opprimé, le plus exploité, le plus harcelé, le plus tyrannisé, qu’ils en étaient fiers, qu’en vérité, le peuple kurde était, en raison de ses caractéristiques économiques et ethniques, le peuple le plus opprimé, que toutes les structures ethniques de la Turquie étaient des peuples et que ce parti était aussi le leur. Ainsi, en manifestant la recherche d’un ordre basé sur l’égalité des peuples (nations) distincts créés, selon eux, parmi les groupes ethniques, et non sur l’égalité des citoyens faisant partie de la Nation Turque, ils se sont basés sur le principe racial et ils ont agi en contradiction avec l’alinéa b) de l’article 78 de la loi portant réglementation des partis politiques.
c) Il est clairement apparu qu’il avait été fait état d’une volonté d’établir un ordre basé sur l’égalité des peuples, de détruire et de surpasser les lignes du Kemalisme. En outre, des affirmations avaient été avancées selon lesquelles le système de l’Etat unitaire appliqué en Turquie jusqu’à présent n’avait pas résolu les problèmes et que, par conséquent, le système d’Etat unitaire devait être remplacé par des régions autonomes, par une fédération ou encore par une fédération administrative, que le système administratif à adopter, la langue à utiliser et les publications à éditer dans ces régions seraient alors déterminées sur place, que les revenus des contributions seraient dépensés là où ils seraient collectés et qu’une partie seulement serait envoyée à l’Etat. En conséquence, contrairement aux dispositions des articles 78/b et 80 de la loi no 2820, c’était la modification du principe de l’unité de l’Etat qui était visé.
d) En affirmant qu’ils avaient pour mission d’entreprendre un combat pour la démocratie en unissant Kurdes et Turcs; que le Nevruz était la fête de l’indépendance qui exprime l’esprit de résistance, la tradition combative du peuple Kurde et la renaissance; que le HEP était le parti des personnes opprimées, exploitées et tyrannisées, telles que les Kurdes, les Arabes, les Circassiens, les Lazes, les Albanais, les Pomaks; que le peuple kurde était depuis des années dans l’impossibilité de jouir de ses droits ; que le HEP parlait au nom des Kurdes, des Turcs et de tous les peuples minoritaires; que le problème kurde existait dès le départ et que, bien que la République avait été fondée par les peuples kurde et turc agissant de concert, le peuple kurde avait par la suite été totalement écarté, il a été prétendu qu’il existait en Turquie des minorités fondées sur l’appartenance ethnique et linguistique, ce qui est en contradiction totale avec l’alinéa (a) de l’article 81 de la Loi portant réglementation des partis politiques.
e) En affirmant que le peuple kurde n’a jamais renoncé à sa passion pour la liberté et a toujours su garder vivantes sa culture et ses valeurs nationales; qu’il était interdit aux Kurdes de lire, d’écrire et de faire des recherches sur leur culture; que malgré la volonté du peuple kurde de préserver et de développer sa culture nationale, par des politiques de rejet, il était soumis à l’assimilation; qu’en vue d’aboutir à une solution du problème kurde, il fallait avant tout supprimer les obstacles empêchant le peuple kurde d’exprimer son identité nationale et culturelle; qu’il fallait, au sein d’une Constitution remodelée, faire adopter à la société et à l’Etat de nouvelles dispositions légales reconnaissant aux Kurdes leurs libertés culturelles, linguistiques, la liberté de l’enseignement et de l’éducation dans leur propre langue, ainsi que leurs autres libertés; que tous les hommes devaient pouvoir s’exprimer dans leurs langue et culture, même si l’origine ethnique, la langue et la culture étaient différentes; c’est la détérioration de l’intégrité de la nation, en créant des minorités par voie de protection d’une autre langue et culture que les langue et culture turques, qui a été visée, ce qui était en contradiction avec l’alinéa (b) de l’article 81 de la loi no 2820.
Il a été déterminé qu’en qualifiant injustement les citoyens d’origine kurde de « nation opprimée », en les provoquant contre l’Etat et présentant ce fait comme étant une bataille pour la liberté et contre l’oppression, en proposant « la reconnaissance du droit à l’autodétermination », ainsi que par ses autres activités, le Parti du Travail du Peuple divisait la Nation turque, par des arguments raciaux, en « Nations turque et kurde », et agissait dans le but de provoquer une sécession en violant la Constitution et la Loi portant réglementation des partis politiques.
La sanction relative aux activités s’inscrivant en contradiction avec la Quatrième Partie de la loi no 2820 portant réglementation des partis politiques est définie par l’alinéa (b) de l’article 101 de ladite loi.
Il en découle qu’il est nécessaire de décider de la dissolution du Parti du Travail du Peuple.
Yılmaz Aliefendioğlu ne partage pas cette opinion.
Conséquences de la décision de dissolution
Les responsables qui, par leurs propos et leurs actes, ont provoqué la dissolution du parti sont Fehmi IŞIKLAR et Feridun YAZAR, anciens Présidents du parti politique, Partie Défenderesse, Ahmet KARATAŞ, son ancien Vice Président et Secrétaire Général et İbrahim AKSOY, ancien Secrétaire Général.
Le dernier paragraphe de l’article 84 de la Constitution stipule que:
L’adhésion du député dont il est stipulé dans la décision de la Cour Constitutionnelle qu’il a, par ses propos et ses actes, causé la dissolution du parti, ainsi que l’adhésion des autres députés du parti politique définitivement dissout qui en étaient membre en la date de l’ouverture du procès, prennent fin à la date de la signification de la décision de dissolution à la Présidence de la Grande Assemblée Nationale de Turquie. +
Cette sanction invite les députés qui, en vertu de l’article 81 de la Constitution, ont prêté serment de sauvegarder l’existence de l’Etat, l’intégrité indivisible de la patrie et de la nation, à être très vigilants sur les matières qui avaient constitué l’objet de l’action et qui figurent parmi les règles de la Constitution ne pouvant être amendées. Inclure ce fait dans le texte de la décision vise à informer la Grande Assemblée Nationale de Turquie concernée et compétente de cette situation Constitutionnelle, étant donné que Fehmi IŞIKLAR, qui par ses propos et ses actes figure parmi ceux qui ont causé la dissolution du Parti, était député. « La destitution » mentionnée au premier paragraphe de l’article 81 et « la fin de l’adhésion » mentionnée au troisième paragraphe sont deux faits distincts. La destitution est une décision qui doit être prise par la Grande Assemblée Nationale de Turquie. La Cour Constitutionnelle ne peut prendre de telles décisions. Lors de la dissolution d’un parti politique au contraire, l’adhésion du député – qui par ses paroles et ses actes a provoqué cette dissolution – prend fin de plein droit à la date de la signification de la dissolution par la Cour Constitutionnelle à la Grande Assemblée Nationale de Turquie. Il n’est pas nécessaire que la Cour Constitutionnelle ni la Grande Assemblée Nationale de Turquie prennent des décisions ou procèdent à des formalités supplémentaires. La précision explicative de la Cour Constitutionnelle est le résultat naturel de l’entité de la décision.
La Cour Constitutionnelle envisage et critique les articles de la Constitution du point de vue juridique, mais s’y conforme et les applique. Elle ne peut négliger les articles en vigueur de la Constitution. Elle ne peut énumérer ni sélectionner les articles en préférant tel article à tel autre. L’essentiel n’est pas le caractère prioritaire ou secondaire des articles de la Constitution mais leur application. La contradiction ou l’opposition aux articles de la Constitution ou la violation de ceux-ci ne sont pas envisageables.
CONCLUSION :
Attendu que, par l’Acte d’Accusation du Parquet Général de la République près la Cour de Cassation, daté du 3.7.1992 et au numéro SP.31.Hz.1992/59, la dissolution du Parti du Travail du Peuple était requise en vertu des articles 101/b et 103 de la Loi portant réglementation des partis politiques, pour avoir envisagé la détérioration de l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple, pour être devenu le foyer d’activités illégales et avoir ainsi violé l’introduction, les articles 2, 3, 14, 68 de la Constitution et les articles 78, 80, 81 de la loi no 2820 portant réglementation des partis politiques, il a été décidé :
1. A L’UNANIMITE de REJETER la demande de dissolution du parti politique, Partie Défenderesse, en vertu de l’article 103 de la loi no 2820 portant réglementation des partis politiques.
2. Attendu que les activités du Parti du Travail du Peuple étaient en contradiction avec la Constitution et la loi no 2820 portant réglementation des partis politiques, de DISSOUDRE le parti politique, Partie Défenderesse, en vertu de l’alinéa (b) de l’article 101 de la loi 2820, à la MAJORITE DES VOIX moins celle de Yılmaz ALİEFENDİOĞLU.
3. Qu’en vertu de l’article 84 de la Constitution,
L’adhésion de ceux qui, parmi Fehmi Işıklar, Feridun Yazar, Ahmet Karataş et İbrahim Aksoy ont, par leur propos et actes, causé la dissolution du Parti, occupent actuellement un poste de député, ainsi que celle de ceux qui étaient membre du Parti lors de l’ouverture du procès, soit le 3.7.1992, prendrait fin à la date de la signification de la décision de dissolution à la Présidence de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, A LA MAJORITE DES VOIX moins celles de Yılmaz ALİEFENDİOĞLU soutenant « qu’il n’y a pas lieu de prendre de telles décisions puisque l’article en question est un article relatif à l’application + et de Mustafa GÖNÜL affirmant que « L’adhésion des autres députés ne pourrait prendre fin conformément au principe de l’individualisation des peines.
4. A L’UNANIMITE, de remettre tous les biens du Parti, Partie Défenderesse, en vertu de l ‘article 107 de la loi no 2820. 5. D’envoyer une copie de la décision pour ce que de droit, à la Présidence de la Grande Assemblée Nationale de Turquie pour ce qui est des députés, à la Présidence du Conseil pour ce qui est des formalités juridiques ainsi qu’au Parquet Général de la République près la Cour de Cassation en vertu de l’article 107 de la loi no 2820.
Opinion dissidente du Juge Aliefendioğlu ALİEFENDİOĞLU
(Extraits)
Lors d’actions relatives à la dissolution de partis politiques, outre l’aspect juridique de la question, d’autres critères se voient accorder de l’importance, tels que l’orientation politique qui influence la dignité du pays et du Tribunal à qui il incombe de trancher, la position sociale des personnes attachées au parti ou encore les facteurs nationaux et internationaux qui lient le pays. Cette dimension multidirectionelle est la raison pour laquelle ces procès relèvent généralement de la compétence de la Cour Constitutionnelle qui oriente la vie politique et sociale en matière de respect des principes fondamentaux de la Constitution. Dans ce contexte, la fonction de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales se révèle donc primordiale.
Les Constitutions de 1961 et 1982 ont d’ailleurs définit une règle selon laquelle la décision de dissoudre un parti politique relève de la Cour Constitutionnelle, au terme d’actions devant être menées par le Procureur Général de la République. En remplissant cette fonction, il incombe à la Cour Constitutionnelle – contrairement à un Tribunal de première instance – de trancher en considérant les principes fondamentaux de la Constitution, les conventions internationales ainsi que les propriétés susmentionnées de telles actions, et non pas d’appliquer un acte, une règle précise de la Constitution et de la loi portant réglementation des partis politiques.
La Cour Constitutionnelle a mentionné lors de certaines de ses décisions que les règles générales du droit l’emportaient sur les règles constitutionnelles. Par ailleurs, l’existence d’un droit supranational sur fond de conventions internationales, la force obligatoire de ce droit, ainsi que des organes supranationaux tels que la Commission européenne des Droit de l’Homme et la Cour de cette dernière, et la notion de sauvegarde des droits de l’homme comme une valeur commune, sont devenues des critères déterminant la qualité contemporaine des interprétations de la Cour Constitutionnelle. En ce qui concerne la Turquie, outre les règles relatives à la liberté et la sécurité individuelles, à la liberté d’opinion, de conscience et de religion, à la Convention sur la Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, entrées en vigueur suite à leur approbation par la loi no 6366 du 10.3.1954 et ayant force de loi, l’Acte Final d’Helsinki de 1975 (Helsinki Final Act) et les décisions prises lors des réunions qui l’ont suivi, ainsi que la Charte de Paris de 1990 pour une Nouvelle Europe et le processus de la Conférence européenne sur la Sécurité et la Coopération qui fixe les principes relatifs à l’économie, la sécurité et aux droits de l’homme autant de documents signés et ratifiés par la Turquie – ont acquis un caractère contraignant, forçant le droit national à se conformer au droit international. Il est donc impératif, pour la Turquie, que le droit interne soit rendu compatible avec les règles du droit étranger auxquelles elle s’est engagée par des conventions internationales afin de conserver le titre de membre honorable de la famille des nations mondiales. L’exemple que les Tribunaux et la Cour Constitutionnelle en premier – vont montrer dans cette direction par les interprétations contemporaines serait un comportement compatible avec leurs rôles. Le principe VII de l’Acte Final d’Helsinki prévoit le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce compris les libertés de conscience, de religion et de croyance. Le principe VIII concerne « L’égalité des droits des peuples et le droit à l’autodétermination de leur destinée ».
(…)
La Constitution qui a, dans son introduction et à l’article 174, défini la détermination de la société turque à atteindre le niveau contemporain de développement et même à le surpasser a, dans son article 2, cité la démocratie comme figurant parmi les propriétés fondamentales d’un Etat de droit.
Le pluralisme, la participation et la liberté d’opinion sont autant de conditions sine qua non de la démocratie.
Le pluralisme – ou autrement dit « la polyphonie » – est l’octroi, aux partis et organismes, du droit à l’expression des opinions et des penchants divers. De par leur structure et leur organisation, les partis politiques sont les instruments de la réalisation du principe de pluralisme. Ce que la Constitution souligne en ces termes: « Les partis politiques sont les éléments essentiels de la vie politique démocratique. »
Cette participation est rendue effective par le concours des individus à tous les stades du processus décisionnel, par l’influence de l’opinion publique et par l’adhésion à des organismes de la structure démocratique. Dans ce contexte, les partis politiques ont un rôle important à jouer.
La liberté d’opinion nécessite l’écoute de ce que nous n’avons pas envie d’entendre et la tolérance de l’idée contraire. Respecter le droit des personnes dont nous ne partageons pas les opinions, dont nous n’aimons et n’approuvons pas les propos, d’exprimer ouvertement ces opinions, la reconnaissance de cette possibilité, sont autant d’éléments incontournables de la démocratie pluraliste. Démocratie signifie respecter l’opinion et tolérer la pensée contraire. En plus du bien-être social, le but de la liberté d’opinion est de voir le reflet dans la société de diverses opinions représentées par les partis politiques et d’aboutir à la meilleure solution. Les partis politiques, qui constituent l’élément incontournable de la vie politique démocratique, remplissent cette fonction en proposant des solutions aux problèmes. La tâche des partis politiques de présenter leurs solutions ou les opinions qu’ils défendent à la population, et leurs tentatives de les faire adopter ouvertement et sans crainte sont des impératifs de la démocratie et ce, qu’elles nous plaisent ou non.
Les partis politiques doivent bénéficier de la protection constitutionnelle et juridique pour autant qu’ils ne transforment pas leurs fonctions en mode de pression et de terreur, qu’ils ne prennent pas position pour la destruction de l’unité indivisible du pays, et qu’ils n’envisagent pas d’obtenir le pouvoir grâce au soutien de certains groupes ou par la révolution.
Les points de vue des partis politiques sont aussi leurs créations intellectuelles. Une pensée qui trouve sa source dans l’esprit peut se développer ou changer en se nourrissant de nouveaux points de vue ou en se heurtant à des points de vue contraires. Ce processus et ce courant doivent se réaliser dans une totale liberté d’expression. Une idée interdite peut paraître attrayante. Elle peut se développer sans être suffisamment débattue. La dissolution d’un parti qui ne pose pas d’actes terroristes, qui ne vise pas à scinder le pays ou n’envisage pas d’arriver au pouvoir par la révolution, peut entraîner la propagation de ses points de vue sans compter la création de nombreux problèmes à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
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Il est donc nécessaire, en jugeant le parti politique sujet à la dissolution, de rechercher si ses Présidents et Secrétaire Général ont, dans leurs propos, visé le but de « la destruction de l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple » et s’ils se sont appuyé « sur le principe de la discrimination raciale ».
Certains extraits des discours de l’ancien Président Fehmi Işıklar, repris par l’Acte d’Accusation et qui sont soulignés sont les suivants:
Extrait du discours du 26.1.1991 :
« ce parti est le parti des plus exploités, des plus opprimés »
« aujourd’hui, le plus gros problème, outre la démocratie, est le problème kurde », « Le problème kurde sera résolu par les Turcs et les Kurdes. Il va être résolu avec les Kurdes en toute fraternité », « Nous avons pour mission d’unir Turc et Kurde et de livrer le combat de la démocratie ».
Extrait du discours du 23.2.1992 :
« aujourd’hui, le plus gros problème, outre la démocratie, est le problème kurde, il faut en débattre dans un contexte libre, de façon pacifique et dans un environnement démocratique », « Le problème kurde sera résolu par les Turcs. Ils vont le résoudre avec les Kurdes, dans l’égalité et en toute fraternité. »
« Le terme Nevroz signifie la dignité de la résistance du peuple kurde et sa tradition de combat »
« C’est évidemment une fête sacrée pour le peuple kurde »
« Le plus gros obstacle à la démocratie est le problème kurde »
« Je le souligne, si l’on croit qu’en se servant de son droit à l’autodétermination, le peuple kurde va dire cet Etat, dans le mortier duquel j’ai mon sang et mes larmes, m’a beaucoup opprimé, m’a torturé, il m’a fait verser des larmes de sang, et qu’on envisage de prendre une décision en fonction de ça, on n’a qu’à s’en prendre aux politiciens et à l’idéologie officielle de l’Etat qui a, jusqu’à aujourd’hui, opprimé, torturé et tyrannisé le peuple kurde, plutôt que de s’opposer au droit des peuples à l’autodétermination qui est l’essence même des conventions internationales qui constituent un principe fondamental des Nations Unies. Il faut savoir que, tant que le problème kurde ne sera pas librement discuté dans un cadre démocratique, tant qu’il ne sera pas résolu dans le respect des normes contemporaines, de la science et de l’esprit, il ne sera pas possible de parler de démocratie en Turquie et le peuple turc – kurde ne sera pas libre. »
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« Notre parti défend la fraternité, l’égalité et la liberté de tous les peuples, pense que c’est la seule voie de délivrance et la seule solution pour la Turquie et en développe la politique. »
Les extraits ci-dessus qui font état du peuple kurde, du problème kurde, du droit du peuple kurde à l’autodétermination, mentionnent que la résolution du problème kurde par les Turcs et les Kurdes, ensemble et en toute fraternité, devait être perçue étant comme le droit des nations de cohabiter ensemble conformément à une liberté et une volonté communes, qui fait partie du droit des nations à l’autodétermination.
Le terme Peuple possède une signification plus vaste que le mot Nation. Le terme « Peuple » signifie la société humaine qui vit dans un même pays, étant de même nationalité, mais aussi les sociétés humaines de même souche et de nationalités différentes. Toutes les sociétés humaines vivant dans un pays mais étant de souches différentes peuvent, avec leurs propriétés culturelles, être appelées « Peuple ». L’existence, dans un pays, de plusieurs peuples n’implique ni la destruction de l’unité nationale par ces peuples, ni le partage. Dans la plupart des cas, l’intérêt commun réside dans l’union et dans la solidarité unitaire. Il est par ailleurs naturel que chaque Etat possède contre la destruction de son intégrité, et contre les actes et activités aspirant à un partage, le droit – dans le cadre d’un Etat de droit – de prendre soin et de protéger sa propre existence.
Vu sous cet angle, il n’a pu être conclu que les propos susmentionnés visaient la destruction de l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et son peuple; la création d’une discrimination de langue, de race, de religion ou de secte; ou encore l’instauration d’un ordre étatique se basant sur ces points de vue et ces concepts, moyennant une autre voie.