Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 10 Marzo 2004

Sentenza 23 agosto 1994

Corte Europea dei Diritti dell’Uomo. Sentenza 23 agosto 1994.

Otto Preminger-Institut c. Autriche.

(omissis)

Sur la violation alleguee de l’article 10

42. L’association requérante soutient que la saisie puis la confiscation du film “Das Liebeskonzil” ont violé le droit à la liberté d’expression que lui garantit l’article 10 de la Convention, aux termes duquel:

“1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.”

A. (omissis)

B. (omissis)

C. Les ingérences poursuivaient-elles un “but légitime”?

46. D’après le Gouvernement, la saisie et la confiscation du film tendaient à la “protection des droits d’autrui”, en particulier au droit au respect des sentiments religieux et à “la défense de l’ordre”.

47. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (série A nº 260, p. 17, § 31), la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui se trouve consacrée par l’article 9 de la Convention, représente l’une des assises d’une “société démocratique” au sens de la Convention. Elle est, dans sa dimension religieuse, l’un des éléments les plus vitaux contribuant à former l’identité des croyants et leur conception de la vie.

Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s’attendre à le faire à l’abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi. Toutefois, la manière dont les croyances et doctrines religieuses font l’objet d’une opposition ou d’une dénégation est une question qui peut engager la responsabilité de l’Etat, notamment celle d’assurer à ceux qui professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti par l’article 9. En effet, dans des cas extrêmes le recours à des méthodes particulières d’opposition à des croyances religieuses ou de dénégation de celles-ci peut aboutir à dissuader ceux qui les ont d’exercer leur liberté de les avoir et de les exprimer.

Dans l’arrêt Kokkinakis, la Cour a jugé, dans le contexte de l’article 9, qu’un Etat peut légitimement estimer nécessaire de prendre des mesures visant à réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d’informations et d’idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui (ibidem, p. 21, § 48). On peut légitimement estimer que le respect des sentiments religieux des croyants tel qu’il est garanti à l’article 9 a été violé par des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse; de telles représentations peuvent passer pour une violation malveillante de l’esprit de tolérance, qui doit aussi caractériser une société démocratique. La Convention doit se lire comme un tout et, par conséquent, l’interprétation et l’application de l’article 10 en l’espèce doivent s’harmoniser avec la logique de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A nº 28, p. 31, § 68).

48. Les mesures litigieuses se fondaient sur l’article 188 du code pénal autrichien, lequel tend à éliminer les comportements dirigés contre les objets de vénération religieuse qui sont de nature à causer une “indignation justifiée”. Il en résulte qu’elles visaient à protéger le droit pour les citoyens de ne pas être insultés dans leurs sentiments religieux par l’expression publique des vues d’autres personnes. Eu égard également à la manière dont étaient formulées les décisions des juridictions autrichiennes, la Cour admet que les mesures inciminées poursuivaient un but légitime au regard de l’article 10 § 2, à savoir “la protection des droits d’autrui”.

D. La saisie et la confiscation étaient-elles “nécessaires dans une société démocratique”?

1. Principes généraux

49. Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de “société démocratique” (voir notamment, l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A nº 24, p. 23, § 49).

Toutefois, ainsi que le confirme le libellé lui-même du second paragraphe de l’article 10, quiconque exerce les droits et libertés consacrés au premier paragraphe de cet article assume “des devoirs et des responsabilités”. Parmi eux – dans le contexte des opinions et croyances religieuses – peut légitimement être comprise une obligation d’éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à leurs droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain.

Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans certaines sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse, pourvu toujours que toute “formalité”, “condition”, “restriction” ou “sanction” imposée soit proportionnée au but légitime poursuivi (voir l’arrêt Handyside mentionné ci-dessus, ibidem).

50. Comme pour la “morale” – notion liée aux “droits d’autrui” -, il n’est pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société (voir l’arrêt Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1989, série A nº 133, p. 20, § 30, et p. 22, § 35); semblables conceptions peuvent même varier au sein d’un seul pays. Pour cette raison, il n’est pas possible d’arriver à une définition compréhensive de ce qui constitue une atteinte admissible au droit à la liberté d’expression lorsque celui-ci s’exerce contre les sentiments religieux d’autrui. Dès lors, les autorités nationales doivent disposer d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer l’existence et l’étendue de la nécessité de pareille ingérence.

Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas illimitée. Elle va de pair avec un contrôle au titre de la Convention, dont l’ampleur variera en fonction des circonstances. Dans des cas, comme celui de l’espèce, oú il y a eu ingérence dans l’exercice des libertés garanties au paragraphe 1 de l’article 10, ce contrôle doit être strict, vu l’importance des libertés en question. La nécessité de toute restriction doit être établie de manière convaincante (voir, en dernier lieu, l’arrêt Informationsverein Lentia et autres c. Autriche du 24 novembre 1993, série A nº 276, p. 15, § 35).

2. Application des principes énoncés ci-dessus

51. Le film qui fut saisi et confisqué par les décisions des juridictions autrichiennes se fonde sur une pièce de théâtre, mais la présente affaire ne concerne que la production cinématographique en question.

a. La saisie

52. Le Gouvernement justifie la saisie du film en excipant de son caractère: celui d’une attaque contre la religion chrétienne, spécialement catholique romaine. Le fait de placer la pièce originale dans le cadre du procès de son auteur en 1895 aurait, en réalité, servi à renforcer la nature antireligieuse du film, qui se terminait par une dénonciation violente et injurieuse de ce qui était présenté comme la moralité catholique.

De surcroît, la religion jouerait dans la vie quotidienne de la population tyrolienne un rôle particulièrement important. Forte déjà de 78% dans la population autrichienne globale, la proportion de catholiques romains au Tyrol s’élèverait à 87%.

Il en résulterait qu’à l’époque considérée, au moins, il y avait un besoin social impérieux de préserver la paix religieuse; il était nécessaire de protéger le public contre le film, et les juridictions d’Innsbruck n’auraient pas excédé leur marge d’appréciation à cet égard.

53. L’association requérante soutient qu’elle a agi d’une manière responsable en cherchant à prévenir toute offense injustifiée. Elle relève qu’elle avait prévu de projeter le film dans son cinéma, qui n’était accessible au public qu’après acquittement d’un droit d’entrée; en outre, son public se composait, dans l’ensemble, de personnes intéressées par la culture progressiste. Enfin, en vertu de la législation tyrolienne en vigueur, l’accès au film devait être refusé aux mineurs de dix-sept ans. Dès lors, il n’y avait aucun danger réel que quiconque se fût trouvé confronté sans l’avoir voulu à une Ïuvre choquante.

La Commission souscrit pour l’essentiel à cette thèse.

54. La Cour relève tout d’abord que bien que l’accès au cinéma pour voir le film litigieux fût soumis au paiement d’un droit d’entrée et à une condition d’âge, le film avait fait l’objet d’une large publicité. Le public avait une connaissance suffisante de son thème et de ses grandes lignes pour avoir une idée claire de sa nature; pour ces motifs, la projection envisagée doit passer pour avoir constitué une expression suffisamment “publique” pour être offensante.

55. La question dont la Cour se trouve saisie implique une mise en balance des intérêts contradictoires tenant à l’exercise de deux libertés fondamentales garanties par la Convention: d’une part, le droit, pour OPI, de communiquer au public des idées sujettes à controverse et, par implication, le droit, pour les personnes intéressées, de prendre connaissance de ces idées, et, d’autre part, le droit d’autres personnes au respect de leur liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce faisant, il faut avoir égard à la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales, qui se doivent aussi, dans une société démocratique, de prendre en considération, dans les limites de leurs compétences, les intérêts de la société dans son ensemble.

56. En ordonnant la saisie, puis la confiscation du film, les juridictions autrichiennes ont jugé que celui-ci constituait, à l’aune de la conception du public tyrolien, une attaque injurieuse contre la religion catholique romaine. Il ressort de leurs décisions qu’elles ont dûment tenu compte de la liberté d’expression artistique, qui se trouve garantie par l’article 10 de la Convention (voir l’arrêt Müller et autres c. Suisse précité, p. 22, § 33) et pour laquelle l’article 17a de la Loi fondamentale prévoit une protection spécifique. Elles n’ont pas considéré que la valeur artistique du film ou sa contribution au débat public dans la société autrichienne l’emportaient sur les caractéristiques qui le rendaient offensant pour le public en général dans leur ressort. Les juges du fond, après avoir visionné le film, relevèrent le caractère provocateur des représentations de Dieu le Père, de la Vierge Marie et de Jésus-Christ (paragraphe 16 ci-dessus). Le contenu du film (paragraphe 22 ci-dessus) ne peut passer pour incapable de fonder les conclusions auxquelles les juridictions autrichiennes ont abouti.

La Cour ne peut négliger le fait que la religion catholique romaine est celle de l’immense majorité des Tyroliens. En saisissant le film, les autorités autrichiennes ont agi pour protéger la paix religieuse dans cette région et pour empêcher que certains se sentent attaqués dans leurs sentiments religieux de manière injustifiée et offensante. Il appartient en prèmier lieu aux autorités nationales, mieux placées que le juge international, d’évaluer la nécessité de semblables mesures, à la lumière de la situation qui existe au plan local à une époque donnée. Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, la Cour n’estime pas que les autorités autrichiennes peuvent être réputées avoir excédé leur marge d’appréciation à cet égard.

Dès lors, elle ne constate aucune violation de l’article 10 en ce qui concerne la saisie.

b) La confiscation

57. Le raisonnement exposé ci-dessus s’applique aussi à la confiscation, qui établissait en définitive la légalité de la saisie et constituait, en droit autrichien, la conséquence normale de celle-ci.

(omissis)

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, à l’unanimité, que l’exception préliminaire subsidiaire du Gouvernement est frappée de forclusion;

2. Rejette, à l’unanimité, son exception préliminaire principale;

3. Dit, par six voix contre trois, que ni la saisie du film ni sa confiscation n’ont violé l’article 10 de la Convention.

Fait en franais et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 20 septembre 1994.

Rolv Ryssdal

Président

Herbert Petzold

Greffier f.f.

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune à Mme Palm et à MM. Pekkanen et Makarczyk.

R.R.

H.P.