Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 18 Ottobre 2004

Decisione 05 marzo 2002, n.35976/97

35976/97
05/03/2002 Corte Decisione Irricevibile 90

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 35976/97
présentée par İlhami TAN contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 5 mars 2002 en une chambre composée de
Sir Nicolas BRATZA, président,
Mme E. PALM,
MM. J. MAKARCZYK,
R. TÜRMEN,
Mme V. STRAZNICKA,
MM. M. FISCHBACH,
J. CASADEVALL, juges,
M. M. O’BOYLE, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 28 mars 1997 et enregistrée le 7 mai 1997,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT
Le requérant, M. İlhami Tan, est un ressortissant turc, né en 1963 et résidant à Ankara. Il est représenté devant la Cour par Mes T. Demirel et V. Sağ, avocats au barreau d’Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
En 1985, le requérant débuta sa carrière militaire dans l’armée de terre.
Par un arrêté du 10 décembre 1996, notifié au requérant le même jour, le Conseil supérieur militaire (Yüksek Askeri Şura) décida de révoquer le requérant de l’armée, capitaine de l’armée de terre, pour actes d’indiscipline et conduite immorale, en application de l’article 50 c) de la loi sur le personnel militaire n° 926.
Le Gouvernement explique la procédure disciplinaire suivie par les autorités militaires débouchant sur la révocation du requérant comme suit : d’abord, il s’agit d’un examen minutieux par une commission, composée de neuf militaires, de tous les rapports de notation et autres rapports tenus durant la fonction de la personne concernée. Puis, après son examen, cette commission établit à son tour un rapport et le soumet au Conseil supérieur militaire. Ce dernier décide alors de révoquer ou non le militaire en question de l’armée en application de l’article 50 c) de la loi sur le personnel militaire.
D’après le Gouvernement, il ressort des rapports soumis à l’examen de cette commission que le requérant était membre d’un mouvement intégriste, qu’il en propageait les idées dans l’armée et qu’il suggérait ses convictions à ses subalternes. L’appréciation de ses états de service était défavorable, notamment sa conduite inconvenante envers la hiérarchie, malgré plusieurs sanctions.
B. Le droit interne pertinent
L’article 125 de la Constitution
« La voie de recours est ouverte contre tous les actes et décisions de l’administration.
Les actes du président de la République relevant de sa seule compétence et les décisions du Conseil supérieur militaire échappent au contrôle judiciaire. »
L’article 129 §§ 2, 3 et 4 de la Constitution turque prévoit qu’une sanction disciplinaire ne peut être infligée aux fonctionnaires, autres que les militaires, qu’à la condition que soit respecté le principe du respect des droits de la défense. Il dispose en outre que les sanctions disciplinaires, autres que les avertissements et les réprimandes, sont soumises au contrôle judiciaire. Les dispositions concernant les militaires sont réservées.
L’article 50 c) de la loi n° 926 sur le personnel militaire
« Révocation pour actes d’indiscipline et conduite immorale :
Nonobstant l’ancienneté dans le service, les officiers dont le maintien dans les forces armées est jugé inapproprié à la suite d’indiscipline et de conduite immorale sont soumis à la loi sur la caisse de retraite turque.
Les autorités compétentes pour engager la procédure, examiner les dossiers de notation, faire leur suivi, en tirer des conclusions et accomplir tout autre acte ainsi que toute formalité de cette procédure sont établies par le règlement sur la notation des officiers. Les officiers dont les cas sont soumis, par l’état major, à l’examen du Conseil supérieur militaire, sont écartés de l’armée par une décision du Conseil supérieur militaire. »
L’article 99 du règlement sur la notation des officiers
« Nonobstant l’ancienneté dans le service, la procédure de mise à la retraite sera appliquée à tous ceux dont le maintien au sein de forces armées est jugé inapproprié suite à leur indiscipline ou à leur conduite immorale, fondée sur l’un des motifs cités ci-dessous, tel qu’établi dans un ou plusieurs documents relatifs au dernier grade de l’intéressé.
a) à d) (…)
e) lorsque leurs comportements et agissements révèlent qu’ils ont adopté des opinions politiques illégales, subversives, séparatistes, intégristes et idéologiques ou qu’ils ont participé à la propagation de telles opinions. »
GRIEFS
Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir disposé d’aucun recours effectif pour attaquer la décision de révocation prise par le Conseil supérieur militaire devant les juridictions internes.
Le requérant soutient par ailleurs que la décision de révocation prise à son encontre, sans qu’il ait fait l’objet d’une sanction administrative ou pénale, contrairement aux dispositions en la matière, constitue une violation de l’article 7 de la Convention.
Invoquant enfin l’article 9 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été révoqué de l’armée en raison de ses convictions religieuses.
EN DROIT
A. Sur la violation alléguée de l’article 9 de la Convention
Le requérant soutient que sa mise à la retraite anticipée porte atteinte à sa liberté de religion au motif qu’elle serait fondée sur ses convictions et pratiques religieuses. Il invoque l’article 9 de la Convention.
D’après le Gouvernement, la mesure de mise à la retraite anticipée ne s’analyserait pas en une ingérence dans l’exercice du droit du requérant à la liberté de conscience, de religion et de conviction ; elle viserait à éloigner de l’armée une personne ayant manifesté son manque de loyauté envers le fondement de la nation turque, la laïcité et ayant porté atteinte à l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et sa nation, dont les forces armées seraient garantes. Il soutient que les activités et agissements contraires à ce principe peuvent engendrer le risque de destruction de l’ordre régnant dans l’armée et qu’il est normal qu’ils soient considérés comme incompatibles avec la discipline militaire.
Le requérant s’oppose aux thèses du Gouvernement et affirme que celui-ci n’a aucune preuve convaincante établissant son appartenance à une organisation illégale ou à un ordre tendant à bouleverser le fondement de la nation turque et le système laïque ou la destruction de l’ordre régnant dans l’armée. Le droit à avoir une conscience religieuse, reconnu par l’article 9 de la Convention, est valable pour un militaire, comme toute autre personne.
La Cour rappelle que dans son arrêt Kalaç c. Turquie (arrêt du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV), elle a déjà examiné un grief similaire à ceux du requérant (voir également entre plusieurs autres, Tepeli et autres c. Turquie (déc.), n° 31876/96, 12 juin et 11 septembre 2001).
En l’espèce, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que les militaires puissent s’acquitter de leurs obligations religieuses dans les limites apportées par les exigences de la vie militaire. Il ressort des éléments des dossiers qu’une commission de neuf militaires a examiné le dossier de notation du requérant énumérant ses actes d’indiscipline et son appartenance à un ordre connu comme ayant des tendances fondamentalistes et qu’elle a constaté que celui-ci ne présentait pas le profil d’un officier de l’armée. Cette commission a conclu que le requérant avait violé la discipline militaire et devait être mis à la retraite anticipée en application de l’article 50 c) de la loi sur le personnel militaire.
La Cour en conclut que la mesure de mise à la retraite anticipée du requérant ne constitue pas une ingérence dans le droit garanti par l’article 9 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4.
B. Sur la violation alléguée des articles 6, 7 et 13 de la Convention
Le requérant allègue la violation des articles 6 et 13 de la Convention en ce qu’il se voit privé d’un accès à tout tribunal judiciaire et expose que la décision du Conseil supérieur militaire échappe au contrôle judiciaire. Il soutient en outre que cette décision est contraire au principe de légalité des délits et des peines. Il invoque à cet égard l’article 7 de la Convention.
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 de la Convention
a) Sur l’existence d’« accusation en matière pénale »
La Cour relève qu’en l’espèce le requérant a été révoqué d’office par un organe militaire pour actes d’indiscipline en application de l’article 50 c) de la loi sur le personnel militaire. Elle rappelle à cet égard qu’elle a déjà eu à se prononcer sur un problème analogue dans deux affaires relatives à la discipline militaire (arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22) et au maintien de l’ordre dans le contexte carcéral (arrêt Campbell et Fell c. Royaume-Uni du 28 juin 1984, série A n° 80). Tout en reconnaissant aux Etats le droit de distinguer droit pénal et droit disciplinaire, la Cour s’est réservée le pouvoir de s’assurer que la frontière ainsi tracée ne porte pas atteinte à l’objet et au but de l’article 6. Elle utilisera en l’espèce les critères qui se dégagent sur ce point de sa jurisprudence constante (voir, entre autres, les arrêts Engel et autres précité, pp. 34-35, §§ 81-82 et Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, p. 18, § 50) : il importe d’abord de savoir si le texte définissant l’infraction en cause ressort ou non au droit pénal d’après la technique juridique de l’Etat défendeur ; il y a lieu d’examiner ensuite, eu égard à l’objet et au but de l’article 6, au sens ordinaire de ses termes et au droit des Etats contractants, la nature de l’infraction ainsi que la nature et le degré de gravité de la sanction que risque de subir l’intéressé.
En l’occurrence, d’après la législation turque, les actes d’indiscipline et la conduite immorale reprochés au requérant tombent sans nul doute sous le coup de textes appartenant au droit disciplinaire.
Quant à la nature de la sanction, la Cour rappelle que « les sanctions disciplinaires ont en général pour but d’assurer le respect, par les membres de groupes de particuliers, des règles de comportement propres à ces derniers » (voir l’arrêt Weber c. Suisse du 22 mai 1990, série A n 177, p. 18, § 33).
La Cour relève qu’en l’espèce la sanction de révocation infligée au requérant se situe dans le domaine de la discipline requise dans les forces armées et ne s’adresse qu’à un groupe déterminé doté d’un statut particulier. Dès lors, la Cour conclut que la décision de révocation ne saurait passer pour une sanction pénale imposée à la suite d’une condamnation pour une « infraction » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, entre autres, Batur c. Turquie (déc.), n° 38604/97, 4.7.2000).
b) Sur l’existence de « contestations » relatives à des droits « de caractère civil »
La Cour se réfère à cet égard à son arrêt Pellegrin c. France du 8 décembre 1999 ([GC], n° 28541/95, CEDH 1999-VIII) par laquelle elle a relevé :
« Par conséquent, la Cour décide que sont seuls soustraits au champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention les litiges des agents publics dont l’emploi est caractéristique des activités spécifiques de l’administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques. Un exemple manifeste de telles activités est constitué par les forces armées et la police. »
De l’avis de la Cour, à la lumière de l’arrêt précité, l’emploi des militaires compte tenu de la nature des fonctions et responsabilités qu’il comporte implique une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’Etat.
Partant, l’article 6 § 1 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce et il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
2. Sur l’article 7 de la Convention
La Cour note que cette disposition consacre le principe de légalité des délits et des peines et prohibe également la rétroactivité de la loi pénale (voir l’arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260, p. 22, § 52).
Au vu de ses considérations ci-dessus quant à l’applicabilité de l’article 6, la Cour estime que l’article 7 n’est pas applicable en l’espèce.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est également incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.
3. Sur l’article 13 de la Convention
La Cour rappelle que l’article 13 exige un recours interne pour les seules plaintes que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, entres autres, l’arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A n° 172, p. 14, § 31).
Eu égard à ses conclusions ci-dessus quant à la violation alléguée de l’article 9 de la Convention, la Cour estime que les allégations du requérant sur ce point ne sauraient être considérées comme un grief défendable au regard de la Convention. Dès lors, elle ne relève aucune apparence de violation de l’article 13 de la Convention à cet égard.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O’BOYLE Nicolas BRATZA
Greffier Président